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lées, acquisent enfin le degré d’importance et de richesse qui pouvait légitimer une si fastueuse dénomination. Les tombeaux de Louis XII, de François Ier, de Henri II, d’Anne de Montmorency, sont de véritables mausolées qui, bien différens par leur caractère et leur mérite de tous ceux qui les avaient précédés en France, ouvrirent à l’art une carrière toute nouvelle.

Dans les siècles précédens, la sculpture avait seule ordonnée la disposition des monumens funéraires. Jean Juste, dans le tombeau de Louis II, changes cet ordre de chose en donnant la prééminence à l’architecture, et ce précédent ont d’heureux imitateurs dans les auteurs des trois autres tombeau que nous venons de citer. Comme lui, ils firent de leurs mausolées des espèces de chambres sépulcrales, à jour sur tous les côtés, ornées de pilastres, de colonnes, couvertes d’un demi-cintre ; comme lui, ils y représentèrent deux fois les mêmes personnages, une fois en état de mort, couchés et nus, une fois en état de vie, à genoux, en habits de cérémonie, et priant ; mais ils eurent le bon esprit de ne pas donner à leurs figures couchées, comme J. Juste l’avait fait, l’aspect effrayant de la mort. L’auteur de la statue couchée d’Anne de Montmorency, en la vetissant, contribua puissamment à ramener l’ancien usage, qui s’est toujours maintenu depuis. Comme la plupart de monumens importants de l’époque, ceux-ci sont polychrômes. Les mausolées de Henri II et d’Anne de Montmorency ont cela de particulier, qu’ils sont du très-petit nombre de ceux où le bronze est allié en marbre.

Comme on l’a vu, la première tentative des artistes pour donner à la figure de leurs mausolées une attitude autre que celle d’un mort, eut pour résultat ces figures à genoux devant un prie-dieu, dont la mode s’est perpétuée sans interruption jusqu’à nos jours. Ce premier pas fait, on chercha de nouvelles situations qui, sans exclure l’idée de la mort, pussent rappeler celle de la vie. La statue du mausolée d’Albert Pio de Savoie, par P. Ponce, qui représentait le prince assis, entouré de livres et occupé à lire ; celle de Maigné, capitaine des gardes de la porte de Henri II, figuré en habit de guerre, assis sur un piédestal armorié, le coude sur un coussin, la tête penchée et appuyée sur la main comme un homme qui vient de s’endormir, sont des innovations heureuses qui portèrent leur fruit. De ce moment l’artiste suivit franchement l’impulsion de son génie, et ne connut d’autres entraves que celles qui naquirent du lieu où ses productions devaient être placées. Ce lieu était presque exclusivement les églises, force fut de leur conserver, avant tout un caractère et une proportion convenables à une telle destination. À l’appui de ce fait, nous citerons le groupe célèbre des trois Grâces, que G. Pilon exécuta pour l’église des Célestins de Paris, pour supporter l’urne dans laquelle était renfermé le cœur de Henri II. En Italie, à pareille époque, ces figures eussent été représentées entièrement nues ; en France, elles durent être vêtues.

Après les immenses progrès que le XVIe siècle a fait aux arts, et la variété, la richesse qu’il introduisit dans la composition des monumens funéraires, on peut croire que le XVIIe siècle, continuant à suivre la route tracée, est arrivée à la perfection. Il n’est est rien. Le beau siècle du Louis XIV fut stationnaire, quant à la sculpture. Ses mausolées n’ont pas le grandiose de ceux élevés sous François Ier. L’architecture y cède le pas à la sculpture ; elle n’est plus, à bien dire, qu’une espèce de placage assez semblable aux décorations dont nous surmontons nos autels ; le plus souvent elle est totalement bannie de leur composition. Quoi qu’il en soit, les mausolées de ce siècle ont une physionomie à eux. Ils se distinguent par une fécondité de composition, une dignité de style, une chaleur d’expression, qui leur donnent un mérite bien précieux, celui d’élever l’esprit et de toucher le cœur ; mais, comme dans le siècle précédent, les figures agenouillées devant un prie-dieu, et celles couchées sur un sarcophage, furent très-nombreuses. Parmi les premières, celles qui eurent une célébrité méritée sont celles de Thou, de Mazarin, de Bérulle, de Colbert, de Villeroy ; parmi les secondes, celles de Michel Letellier, de J. Souvré Courtenvaux, de Richelieu, etc., etc. Le mausolée de ce dernier est peut-être celui qui caractérise le mieux ceux de l’époque. On y voit, à demi-couché, le cardinal près d’expirer entre les bras de la Religion, qui le soutient et le console, tandis que la Science, assise à ses pieds, est dans le plus profond abattement. Le monument que le peintre Le Brun fit élever à sa mère par Tuby et Collignon, n’est pas moins caractéristique que le précédent ; cette femme qui sort de sa tombe au soin de la trompette embouché par l’ange de la résurrection, est d’une expression si sublime, qu’elle transporte en idée le spectateur au séjour des bienheureux où il la croit appelée.

La variété qui s’introduisit dans la composition des monumens du siècle ne reposa pas seulement sur le nombre et la disposition des figures accessoires, dans l’action donnée à la figure principale, elle s’étendit à la forme même du mausolée. Des colonnes en marbre précieux, de haute proportion, prises dans un seul bloc, des cippes, des hermès, des colonnes tronquées, des obélisques supportant des urnes, des bustes, et chargés d’inscriptions et de bas-reliefs, furent fréquemment employés, sans doute parce qu’ils demandaient peu de cette place, dont on était alors si avare. La pyramide Longueville, en marbre noir, enrichie d’emblèmes en marbre blanc incrusté ; la colonne torse, en marbre campan isabelle, entourée de lierre et de palmes, sur laquelle était placé, renfermé dans une urne, le cœur de Henri III, sont des monumens magnifiques, où l’art joue un rôle bien important.

Quant au XVIIIe siècle, que le règne de Louis XV, si funeste aux arts, à la littérature et à la morale, remplit presque en entier, il n’offre aucun monument d’un caractère tranché. Ce sont toujours les mêmes formes, les mêmes idées, mais apauvries, mais rendues sans talent, ou l’exactitude du costume n’est plus observée. Pour donner la mesure du mauvais goût qui régnait dans ce tems de décadence, nous citerons un seul mausolée, celui de Henri-Claude, comte d’Harcourt, parce qu’il fit fortune. On y voit un squelette en bronze ouvrir le tombeau du maréchal, et celui-ci sortir de cette tombe pour converser avec sa femme qui est à genoux, tout auprès, ayant derrière elle l’Hymen en pleurs éteignant son flambeau.