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Mais sous Louis XVI l’art se releva de son état de dégénérescence. Le monument de Dubuisson, curé de Magny, exécuté par Dejoux, et surtout celui élevé à Drouais, par Michallon son ami, sont des exemples éclatans à l’appui de ce fait, que cent autres chefs-d’œuvre de genres différens confirment à tous les yeux.

Par tout ce qui précède, on a pu voir combien la France était pauvre en monumens funéraires, tant par le nombre que par l’importance. Quelle différence entre nos chétifs tombeaux et ces antiques sépultures de l’Inde, de la Perse, de l’Egypte, du Pérou, de la Chine, où des milliers de bras ont été occupés au même travail pendant des siècles entiers ; et ces monumens funéraires de la Grèce et de l’Italie antique, si variés de formes et de formes si aimables ; et ces tombeaux des papes de la Rome moderne, chefs-d’œuvre où l’art semble avoir épuisé ses ressources pour s’attirer l’admiration des générations présentes et futures ! A la fin du dernier siècle, on avait bien raison de dire que tout était à créer chez nous en fait de monumens funéraires. Il était réservé au XIXe siècle de rendre la France rivale heureuse des autres nations, en établissant, au dehors de ses cités, ces vastes champs de repos où la piété des familles, et la gratitude des peuples, viennent élever sur les restes de ceux qui lui furent chers des monumens durables d’amour, de regrets, de reconnaissance et d’illustration. Depuis trente ans que ces cimetières sont ouverts, des milliers de mausolées, variés de forme, de dimension, de richesse et de goût, déposent déjà de ce sentiment religieux qui anime notre société moderne, et de la marche progressive des arts dans ce siècle de rénovation sociale.

Pour compléter l’engagement que nous avons pris de désigner le caractère propre des mausolées de chaque époque, nous dirons que le commencement du XIXe siècle eut celui de d’en point avoir. Sans précédens, sans exemples appliquables à nos nouveaux besoins, car des monumens élevés dans des lieux fermés ne pouvaient être pris pour type de monumens à élever en plein air, nos artistes ne firent d’abord que reproduire, à quelques modifications près, les tombeaux qui bordent les voies Appia, Flaminia, Latina de l’ancienne Rome, qui ne sont eux-mêmes, comme on le sait, qu’un mélange d’idées empruntées aux Egyptiens, aux Grecs, aux Etrusques, etc. De 1800 à 1810, ils donnèrent la préférence à ceux dont la composition était la plus simple et la moins dispendieuses ; de 1810 à 1820, ils adoptèrent des formes plus riches, des emblèmes plus variés, des ornemens plus riches ; mais l’antique était toujours la source où ils allaient puiser leurs inspirations. Dans ces dernières années, quelques artistes de premier ordre ont enfin franchi la barrière, et nous ont offert des compositions originales, où l’architecture, la sculpture, les marbres, le brome, le fer ouvragé, sont combinés avec des accidens de terrain, de riches végétations, pour produire des effets aussi neufs, aussi magnifiques que religieux et pittoresques.

Lorsque le luxe des tombeaux a gagné toutes les classes aisées de la société, et qu’en moins de dix ans plus de cent arpens ont été couverts de monumens mortuaires par les seuls habitants de Paris, on se demande combien de terrain aura été soustrait à la culture en France dans un seul siècle ? quel nombre de monumens seront offerts à l’édification publique ? quelle voie les artistes parcourront pour satisfaire à ce besoin de nouveauté qui travaille chaque nouvelle génération ? quel sera enfin le résultat de leurs veilles et de leurs médiations pour créer des monumens dignes de faire l’admiration d’une postérité reculée ? Ce n’est point à nous d’expliquer ce mystère ; notre tâche est de faire connaître, au moment où nous sommes, ce que nos artistes ont produit de plus satisfaisant en fait de monumens funéraires, tant à Paris que sur les différens points de la France. En commençant par ceux de la capitale, nous suivons l’ordre naturel, puisque c’est elle qui a donné le salutaire exemple d’inhumer lors de l’enceinte des villes, et d’élever sur la tombe des morts des monumens de commémoration.

Aux termes de notre prospectus, nous nous sommes engagés à reproduire fidèlement, par la gravure, tous ceux de ces monumens qui offrent de l’intérêt par leur mérite, leur importance, leur originalité, les souvenirs historiques qu’ils rappellent. Pour remplir convenablement cette tâche, nous avons dû comparer entre eux les monumens dérivant d’un même type, nous assurer, pour chaque espèce, de celui qui remplissait le mieux les données de son programme, et jusqu’à quel point les modifications introduites dans sa forme ou sa décoration originelle étaient heureuses. Il nous a fallu aussi examiner avec attention les monumens neufs de motif, afin d’exclure ceux qui ne se distinguaient que par une originalité bizarre, et de ne consacrer notre burin qu’à ceux qui pouvaient être recommandés à l’étude des artistes. Si l’on nous reprochait d’avoir parfois manqué de sévérité dans notre choix, de n’avoir pas toujours donné la préférence au monument le plus parfait de l’espèce, nous dirions, pour notre justification, que chaque jour voit s’élever des mausolées sur des types déjà reproduits cent fois, et que si, dans ces derniers, on trouve des exemples préférables à ceux que nous avons publiés, notre tort est seulement d’avoir commencé trop tôt notre ouvrage. Mais comme, par sa nature, cet ouvrage est du nombre de ceux qui ne peuvent jamais être complets, nous aurons soin de comprendre dans le second volume que nous lui préparons, les modèles qui auront éclipsé par leur mérite ceux analogues contenus dans le premier. Dans cette seconde partie seront insérés les monumens du général Foy, non encore achevé, de Gouvion Saint-Cyr, de Benjamin Constant, des familles Chabrol, Collot, Fournier, et cent autres élevés sur le sol de la France, que nous comptons exploiter dans son ensemble, en donnant toutefois la préférence aux conceptions neuves et empreintes du cachet du génie, afin de ne pas trop multiplier les livraisons d’un recueil qui doit être accessible à toutes les fortunes.