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une fois, comment l’ouvrier hindou ou chinois, si sobre qu’on le suppose, pourra-t-il lutter contre cette machine ? Avec le métier Cooper un ouvrier fait 752 mètres de tissu par jour.

Il en est de toutes les industries comme de celles du papier et du tissage. Le bon marché du produit provient de la substitution de la machine au travail humain. Dans l’Inde et la Chine, où les ouvriers se paient si peu, on trouve avantage à établir de grandes filatures mécaniques ; donc, même dans les pays de salaires dérisoires, la machine bat l’homme.

Pour produire à meilleur compte que nous, les Asiatiques devraient avoir un outillage industriel plus perfectionné que le nôtre. Pour posséder des machines supérieures à celles de l’Occident, ils devraient inventer des procédés plus avancés. Ce n’est pas impossible, à coup sûr, mais cela demandera beaucoup de temps. Tout se tient dans la vie sociale. L’invention provient, dans une certaine mesure, du développement de l’esprit scientifique. Cet esprit scientifique, à son tour, est la résultante de milliers de facteurs forts complexes. Pour faire que la société hindoue et chinoise arrive à l’état mental des Américains du Nord (état particulièrement propice à l’esprit d’invention), il faudra d’innombrables efforts pendant des siècles. Mais, dira-t-on, les Asiatiques nous achèteront notre outillage. Parfaitement ; mais dans ce cas ils auront ce que nous avons et pas mieux, donc ils seront nos égaus et pas nos maîtres. Nous pourrons leur faire concurrence sur un pied d’égalité. Il faut que les pessimistes nous expliquent pourquoi ce seront eus qui devront nous écraser et pas nous qui les écraserons. Notez de plus que dans les perfectionnements de l’outillage, l’esprit d’invention est tout. Tant que nous serons plus inventifs, nous l’emporterons toujours sur nos rivaus asiatiques. Des machines plus parfaites et plus ingénieuses donneront constamment des produits moins chers que des machines démodées et archaïques.

Les Chinois et les Hindous pourraient arrêter nos manufactures le jour où ils seraient en état d’approvisionner non seulement leurs propres marchés mais encore les nôtres. Comme nous l’avons déjà montré ailleurs,[1] « l’industrie cotonnière anglaise emploie actuellement 53 millions de broches. Il faudrait que nos concurrents asiatiques possédassent un outillage au moins égal pour nous battre. Mais où prendront-ils les capitaux nécessaires pour l’établir ? Justement, si les salaires sont si bas aux Indes et en Chine, c’est parce que l’esprit d’initiative et les

  1. Voir nos Gaspillages des sociétés modernes, Paris, Alcan, 1894, p. 78.