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l’association médicale

LES PETITS HOMMES DE LA PINÈDE

Par le Dr Octave BÉLIARD
(Suite)[1]
CHAPITRE i
Ce qu’étaient les premières pages du manuscrit.

Il est peu probable que ce récit que je vais commencer vienne jamais à la connaissance de personne. Du moment où j’ai été enfermé dans cette maison, je suis devenu plus distant du reste des hommes que si j’étais enfoui dans un silo ou perdu dans les solitudes polaires. La mort même est un refuge moins inviolable, puisque le souvenir poursuit jusque dans les cimetières ceux qui ne sont plus. J’ai le privilège de vivre, bien qu’étant mort à mon existence passée et d’effacer totalement par ma figure actuelle la mémoire de l’ancienne. Qui se souvient maintenant de Moranne, le savant qui eut son jour de triomphe ? Personne, pas même moi, peut-être. Reste Moranne, le fou. Celui-là on n’aura pas l’idée de lire ses folies.

C’est donc pour ma satisfaction personnelle et non dans le but ridicule de convaincre que je veux inscrire ici cette vérité : Je ne suis pas fou… ou du moins, pas encore ; mais j’espère que l’avenir régularisera ma situation en me faisant ce que je parais être. C’est tout le bonheur que je me souhaite : celui de l’inconcience. Je demande même qu’on ne se lamente pas sur mon sort ; je le veux ainsi et me contente de la paix des asiles, des couvents et des tombeaux, n’ayant plus aucune de ces curiosités qui donnent du prix à la vie.

J’ai tout vécu, j’ai tout vu. J’ai été plus qu’un

  1. Voir l’Association Médicale, no  6, page 171.