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TOUCHE À TOUT


Cavaliers d’une tribu défilant devant Enver Bey pendant la guerre italo-turque : Que la guerre sainte soit proclamée et l’on reverra de telles scènes qui nous transportent au temps des grandes invasions musulmanes.
des coudes en maîtres. Mais aucune dispute ne semble devoir altérer la bonne humeur de cette foule qui serait sinistre, si l’on savait lire la pensée derrière le regard. Pourtant les autorités sont inquiètes. Des choses inexplicables se passent, sournoisement. Des fils télégraphiques ont été coupés la nuit précédente. On a en vain téléphoné à Calcutta, à Delhi, à Bombay… sans obtenir de réponse. Des convois attendus ne sont pas arrivés, les trains ont d’incroyables retards. Des messagers à cheval sont partis : on n’en a plus de nouvelles. Pour la première fois, les Anglais se comptent et s’aperçoivent qu’en face des 415 000 habitants de la ville, ils sont une petite poignée : 4 000 hommes cantonnés dans un faubourg. Confusément, ils se sentent seuls, si loin de la patrie ! Les communications sont coupées… Le malheur, imprécis, les encercle.

Tout à coup, au centre d’une place, un soldat roule à terre dans des convulsions épouvantables. Sa bouche est couverte d’une écume rouge, ses yeux angoissés contredisent le rictus sardonique des lèvres, et ses membres sont secoués de terribles contorsions de pantin. Il se roule dans la poussière avec des cris inarticulés. D’autres hurlements retentissent çà et là, devant l’étalage des marchands, aux portes des mosquées. Partout des corps étendus, avec la danse macabre des bras et des jambes. C’est comme une contagion d’épilepsie, mais elle n’atteint que les Anglais. Brusquement, des casernes, les hommes se ruent, l’œil fou, le visage convulsé : « Le poison ! le poison ! » Pris de folie furieuse, sentant qu’ils vont mourir, les soldats déchargent au hasard leurs armes, tirent leurs sabres contre la foule houleuse qui les étouffe dans son tumulte. Les derviches, humbles tout à l’heure, montent sur les bornes en secouant leur cendre et crient des paroles qui se perdent dans le bruit. Le peuple, coulant en longs ruisseaux vers le quartier de la Résidence, assiège dans leurs bungalows les étrangers qui se défendent, qui se suicident en masse. On crache au visage des têtes coupées d’officiers et de fonctionnaires britanniques. C’est par un hasard miraculeux que quelques hommes, avec sir William, ont pu fuir.

17 septembre. — Il paraît, de source certaine, que la Mecque, après un siège acharné de quatre semaines, a été rendue aux réguliers turcs et persans. Dès la proclamation du Padischah, un corps de 30 000 hommes, moitié Turcs, moitié Persans, avait été convoyé vers la capitale du Hedjaz par le chemin de fer et les pistes du désert pour combattre le corps d’occupation anglaise. Ce dernier, sans ressources, sans secours, resté pourtant vainqueur, à force de vaillance, dans des escarmouches quotidiennes contre les Bédouins, s’était enfermé dans les murailles de la ville sainte, décidé à la défendre jusqu’à la mort. L’arrivée de l’armée musulmane a trouvé les assiégés déjà livrés à toutes les horreurs de la famine. Ils ont pourtant résisté un mois. Après avoir mangé les animaux, tondu l’herbe des vieux murs, rongé le cuir de leurs chaussures et de leurs buffleteries, ils en ont été réduits à tendre des pièges aux bêtes immondes, à dévorer les cadavres infects des rats pesteux.