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ORIENT CONTRE OCCIDENT
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Cette résistance comptera parmi les plus héroïques de l’Histoire. Enfin, comprenant qu’ils ne pouvaient plus tenir, ils sont sortis en armes, le 15 septembre. Des bataillons de squelettes ambulants, les yeux exaltés et brûlants de fièvre, se sont jetés, de désespoir, sur le fer de l’ennemi, qui en a fait un grand carnage. La Mecque reprise, le croirait-on ? c’est une nouvelle qui fait pousser au monde un soupir de soulagement. On pense que la guerre n’a plus de prétexte. Mais ce jugement optimiste n’est pas partagé par les gouvernements. L’Islam a senti sa force. Il ne fait même plus de distinction entre les « Roumis ». La France s’est mise en défense et ses intérêts dans les pays musulmans en font l’alliée naturelle de l’Angleterre. Cette sympathie attire sur elle les rancunes arabes. D’autre part, les sujets tartares de l’empire russe sont turbulents, et on ne les contient qu’en gardant toute l’armée sur le pied de guerre.

20 septembre. — Bien que toute notre escadre soit maintenue à Bizerte, depuis le commencement des troubles, avec des détachements à Alger et à Tanger, bien que toutes les troupes de l’armée d’Afrique, au complet, aient été réunies sous un même gouvernement militaire, le mauvais vouloir des indigènes et de fréquentes attaques à main armée contre les colons leur ont enlevé toute confiance, et l’exode en est incessant. Il s’est créé, dès la fin du mois d’août des foyers d’agitation qui occupent les forces militaires, dans la région du Djérid, en Tunisie ; en Algérie, autour de Tlemcen. Les tribus du Riff et de la Chaouïa sont en pleine effervescence. Un imposteur, du nom de Bou-Thaleb, se disant descendant du Prophète et désigné par le ciel pour chasser les étrangers et reconstruire l’ancien royaume de Tlemcen, groupe autour de lui les mécontents et leur nombre s’en accroît toujours. L’armée du prétendant atteint déjà, dit-on, 40 000 hommes, tant Marocains, qu’Algériens et Tunisiens. Trois régiments de zouaves et la légion étrangère marchent à sa rencontre.

22 septembre. — Un événement terrible mais non pas inattendu vient de se produire. Sur tout le territoire, à la même heure, les troupes indigènes se sont mutinées et ont massacré leurs officiers. Cette défection en masse témoigne d’un mot d’ordre unique, et par conséquent révèle un plan défini. On dit que ce Bou-Thaleb a fait son éducation en France et qu’il a avec lui un grand nombre d’Arabes instruits à l’européenne. Les mutins, poursuivis par les troupes de nationalité française, cherchent à opérer leur concentration dans le Sud, en quatre points différents.

23 septembre. — À Tizi-Ouzou, à Biskra, à Gafsa, on s’égorge. Les casernes ont sauté à Constantine. Les journaux français sont affolés et supputent les conséquences d’un choc total entre les immigrés européens et les indigènes. Les chemins de fer s’arrêtent. Les fils télégraphiques sont coupés. On pense que des armées montent du Sahara, que tous les postes avancés du Sud sont détruits. Des arsenaux sont pillés. Par la Tripolitaine, qui a secoué la domination de l’Italie et qui reste en communication avec l’Asie musulmane, la contrebande de guerre afflue. On n’a plus de communications qu’avec Tanger, Bône, Alger, et Tunis, et avec les cuirassés de l’escadre, reliés à la Tour Eiffel par la télégraphie sans fil.

24 septembre. — Le ministre de la Guerre monte à la tribune de la Chambre pour annoncer que nos troupes, par leur inlassable dévouement, sont dignes de tous les éloges, et qu’elles viennent de remporter une victoire à Tlemcen, sur l’armée du prétendant. Il demande des subsides qu’on lui accorde par acclamation. On décide de faire tous les sacrifices pour conserver notre belle France transméditerranéenne, même au prix de nos autres colonies d’Afrique, où nos soldats perdus, forcément inférieurs en nombre, luttent désespérément en ce même moment contre les musulmans noirs.

Pendant toute cette fin de septembre, il est visible que l’Islam, enivré des résultats de sa guerre défensive, ne s’en tiendra pas là. Des plans de campagne divers, mais tendant tous à la conquête, s’élaborent à Constantinople, à Téhéran, à Delhi, au Caire, à Gabès, dans le Sud algérien, à Fez. Partout des chefs surgissent. Les chefs, ce sont ces officiers turcs, instruits dans nos écoles militaires, assidus à nos grandes manœuvres ; ce sont les bas-officiers hindous formés par les Anglais, les patriotes égyptiens, les chériffs héréditaires des confréries du désert. L’éducation européenne a produit des ingénieurs et des marins. Il y a des conseillers adroits sortis des grandes écoles du Caire, de Damas et de l’Inde, les anciens élèves des Facultés anglaises et françaises. La civilisation d’Europe a fourni des armes contre elle-même. L’argent ? On n’en manque pas. Le trésor de la Turquie et de la Perse est rempli par les emprunts négociés à Paris ou à Londres avant la guerre. Les riches financiers de l’Inde et de la Birmanie, les opulents mar-
Une charge de cavaliers arabes à Benghazi (Tripolitaine).