Page:Octave Mirbeau - Dingo - Fasquelle 1913.djvu/140

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le menuisier, avec son petit garçon, qui suce un gros sucre d’orge et, insatiable de plaisirs, demande à son père de le mener aux chevaux de bois ; Mme Amélie Tourteau, l’épicière, qui achète des cartes postales pour ses cousines de Paris : une rue de Montbiron où l’on aperçoit distinctement la maison des Radicet ; le fils de Mme Irma Pouillaud, venu passer son dimanche chez sa mère, un jeune homme employé à la Samaritaine, joli avec ses petites moustaches noires retroussées, son veston collant, son panama rabattu sur les yeux, et qui, un kodak à la main, attend impatiemment que l’assassin sorte de la mairie pour le « prendre ». Et près de moi, à ma gauche, je vois osciller, au-dessus des têtes, les coques rouges de la belle Irma… Jaulin m’accoste. Il est en tenue de chasseur : toile brune et jambières de cuir jaune. Il me dit :

— Un beau temps. Monsieur… Ça fait plaisir. Après l’orage de cette nuit, fallait ça pour le blé.

Sans transition, il ajoute :

— Ah ! le pauvre Radicet !… Quel malheur, hein !… Un homme de mérite, allez !

J’arrive ainsi derrière le jeune Pouillaud, qui brandit toujours son kodak, jusqu’au perron de l’Hôtel de ville. L’appariteur, en grand uniforme, — je veux dire un képi galonné d’argent sur la tête, une blouse bleue que serre, aux reins, une