Page:Octave Mirbeau - Dingo - Fasquelle 1913.djvu/230

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cher, le remâcher dans ma bouche comme une viande savoureuse, au fond, il ne me rassurait pas du tout, ce mot magique. Je me souvenais de tous les ravages que l’idéal avait causés dans l’âme des hommes, de l’abêtissement où il avait conduit jadis certains de mes jeunes amis… Oui, mais c’étaient des poètes, de pauvres petits diables de poètes qu’un rien affole et détraque, tandis que Dingo…

Bien des menus faits, des observations renouvelées m’avertissaient chez lui d’un prompt, d’un désolant retour à l’atavisme australien… J’avais remarqué souvent son émotion frissonnante lorsque, encore tout petit, il se trouvait brusquement en présence d’une poule. En apercevant un mouton, il tremblait, non de peur, mais de mauvais désir ; il tremblait comme s’il eût été pris tout d’un coup d’un accès de fièvre meurtrière. À la vue d’un bœuf, il s’agitait étrangement, piétinait le sol avec impatience, puis, tout d’un coup, son corps se ramassait, ses muscles se bandaient comme pour un mouvement d’élan furieux.

— Dingo !… Dingo !… criais-je, en le rappelant à la civilisation…

Il retenait encore son élan, de mauvaise grâce, d’ailleurs. Et, de ses rencontres avec les bêtes, il gardait toute la journée un souvenir pas-