Page:Octave Mirbeau - Dingo - Fasquelle 1913.djvu/347

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fisse, qu’un étranger. Et ce furent bientôt des histoires, qui se colportèrent de bouche en bouche, sur mes origines qu’ils ignoraient, sur mon existence ancienne, ma vie actuelle qu’ils ne connaissaient pas davantage. Tout ce que l’imagination curieuse, haineuse, d’un paysan peut inventer de calomnies déshonorantes, d’invraisemblables crimes, d’injurieux mensonges, on me l’attribua, pas seulement à moi, à mes domestiques aussi, aux amis qui venaient me voir, aux indifférents qui ne faisaient que passer dans ma maison. J’étais en butte sans cesse aux tracasseries des mauvais voisinages, aux petites rapines, aux discussions sans fin sur les bornages qu’ils savaient exacts, aux intimidations de toute nature, au boycottage. Plus une seule minute de paix, là où j’étais venu chercher la paix. Impossible de trouver dans le pays des ouvriers pour couper mes foins. Tous, sous divers prétextes, ils refusaient de travailler pour moi. J’étais bien forcé d’avoir recours aux chemineaux belges, à des ouvriers de rencontre et de hasard. Alors, ils m’accusaient de mépriser ceux du pays, d’attirer les galvaudeux et les étrangers. L’étranger ? toujours l’étranger ! Refrain barbare, refrain éternel du paysan… Mes foins coupés, bottelés, il m’était interdit de les vendre. Personne n’en voulait, même à des prix inférieurs, à des prix