Page:Octave Mirbeau - Dingo - Fasquelle 1913.djvu/348

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ridicules. Au café, le dimanche, ils se réjouissaient de mon embarras. Et ils disaient, en se tapant la cuisse, en se frottant les mains :

— Ses foins sont pourris… Ses foins sont pourris !… Il n’a pas où les rentrer… Bonne affaire !

J’étais venu, sans aucune ambition, je vous assure, plein de bonne volonté, désireux d’être utile, avec l’idée de me faire le collaborateur, le défenseur de leurs travaux, de leurs peines, de leurs espérances. Ah ! mes illusions d’apôtre ! Au bout de six mois, dégoûté, écœuré, je m’étais complètement désintéressé de qui ne songeait qu’à me persécuter, bien résolu à vivre à part, à vivre pour moi-même, pour moi seul, à m’isoler de leurs sottes querelles, de leurs stupides haines.

Ah ! que je vous raconte une histoire.

Ils n’avaient pas d’eau. Rien que des puits souillés, des mares fétides, que les premiers jours de l’été tarissent. Dès mon arrivée, j’avais été frappé par cette incurie administrative. Je voulus faire comprendre au maire que c’était là une condition de vie déplorable et honteuse. Le maire m’écouta gouailleur :

— Ils n’ont jamais eu d’eau…, me dit-il… Bah ! Ils ont tout de même vécu… Et puis, l’eau… ça coûte de l’argent… Et nous n’avons pas d’argent non plus… pas d’argent à gaspiller comme ça…