Page:Octave Mirbeau - Dingo - Fasquelle 1913.djvu/369

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un chien, un vrai chien, un chien qui ne prend d’autres plaisirs, sinon ceux que lui permet son maître. Il tenta de tuer en lui le dingo, le vieil homme. Parfois, dans la rue, un irrésistible élan l’emportait. Il semblait pris de vertige. D’un bond, il s’éloignait, il fuyait. Puis, brusquement, les pattes raidies, il s’arrêtait et enfin revenait à moi d’une démarche lente et sage. La tête basse, l’œil résigné, il allait derrière moi, comme un soldat dans le rang, comme un écrivain qui met ses pas dans les pas de ses ancêtres. Il s’asservissait au devoir, au devoir d’être un chien comme les autres. Il était devenu un chien de devoir. Il me suivait religieusement. Il ne levait la patte que là où d’autres avaient déjà levé la patte. Et encore il boudait contre son plaisir. Il levait la patte avec décence et résignation. Il semblait me dire :

— Vois… je suis un pauvre chien qui lève la patte… mais sans ostentation… je reste au long des murs le temps qu’il faut… pas plus. Je ne prends plus un malsain plaisir à flairer et renifler… Sitôt ma patte baissée, je reviens près de toi… Un chien domestique… je deviens un chien domestique.

Je l’avais emmené sur les boulevards extérieurs. Quatre moutons allaient vers l’abattoir, menés par un homme en blouse et par un chien