Page:Octave Mirbeau - Dingo - Fasquelle 1913.djvu/372

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l’ai surveillé… je l’ai vu qui appelait le chien…

Il raconta que l’homme avait tiré de sa poche des morceaux tout découpés de viande crue. Dingo les avait flairés avec dédain, à distance, sans les toucher même du bout de son museau. L’homme avait essayé de le saisir par son collier. Dingo s’était soulevé d’un bond si violent que l’homme fut renversé. Alors, il avait planté ses crocs dans la gorge et n’avait lâché prise, que lorsque l’agent l’eut arraché en le tirant à pleins bras.

Dès que l’agent eut terminé son récit, la foule changea de sentiment. Dingo n’était plus une bête féroce qui attaquait les promeneurs paisibles. C’était un brave chien qui se défendait et qui défendait la propriété contre les bandits. C’était un conservateur, presque un agent.

— S’il y avait beaucoup de chiens comme ça, disait un garçon livreur, y aurait peut-être moins de voleurs…

— Les bêtes sont plus courageuses que le monde, disait une grosse femme chargée de paquets.

Une jeune modiste, qui portait un énorme carton à chapeaux, caressait le dos de Dingo qui, un peu inquiet au milieu de l’attroupement, tournait la tête vers l’un et vers l’autre, et semblait, pour un instant, avoir perdu son élasticité musculaire et son esprit de décision.