Page:Octave Mirbeau - Dingo - Fasquelle 1913.djvu/417

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d’un hêtre, longtemps j’avais admiré la beauté libre de ces animaux, leur souplesse nerveuse, leur élégance fine. Et je me sens triste davantage, à la pensée que c’est peut-être une de ces belles créatures pacifiques que j’ai vues et que j’ai aimées qui fuit, en ce moment, affolée, devant les chiens, devant les cors, devant les brutes en habit rouge, devant les douces femmes blondes…

Les promeneurs arrivent sans cesse, emplissent la route…

— Où est la chasse ?… Où est la chasse ? Nous avons perdu la chasse…

Le boucher, qui a fini sa tournée dans les bourgs avoisinants, arrête sa voiture. On voit aller et venir son tablier blanc taché de sang. Et ses bras nus s’agitent parmi la foule. Car c’est une foule maintenant. Une foule qui s’impatiente davantage, qui s’exaspère. Des propos s’échangent, plus nerveux, des probabilités se colportent. On discute. On dit du cerf que « c’est un cochon » et que c’est mal à lui d’être parti si loin. On proclame que telle place est meilleure que telle autre. Le boucher énonce :

— L’endroit est bon… Je vous dis que l’endroit est bon.

— Savoir… Savoir.

— Sur dix cerfs… il y en a huit qui viennent se faire prendre ici…