Page:Octave Mirbeau - La 628-E8 - Fasquelle 1907.djvu/215

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Je les eusse considérés comme une profanation… Oui, oui, j’étais bien sûr qu’il m’eût été impossible de les regarder…

Je regardais toujours…

Et un calme, une sécurité – plus que cela – une sorte de joie nouvelle, entraient en moi…

C’étaient des paysages de printemps, des paysages du Midi… des vergers… des moissons dorées ondulant sous le vent… Et des ciels étrangement mouvants, où des formes vagues de grands animaux, de femmes couchées, s’allongeaient, s’émiettaient, reprenaient d’autres formes… Et des figures tourmentées, parmi lesquelles celle du peintre, d’un accent si tragique… celle aussi du bon père Tanguy, souriante, avec sa vareuse brune, son tablier vert, ses deux grosses mains de travail… Et des fleurs, d’adorables fleurs, tulipes, glaïeuls, roses, iris, soleils, d’une vie, d’un éclat, d’une caresse, d’un rayonnement extraordinaires…

Ces toiles, je ne les détaillais pas comme je fais en ce moment, même d’une façon si sommaire… C’est l’ensemble des formes, c’étaient les taches de lumière qu’elles faisaient sur les murs, qui me retenaient et me charmaient…

Je me disais :

— Ce que j’ai là, devant moi… c’est une autre sensibilité, une autre recherche… c’est autre chose… c’est un autre art… moins écrit, moins solide, moins profond, moins somptueux, que celui dont je viens de recevoir une commotion si violente… Évidemment, je vois, parfois, dans ces toiles, une grimace douloureuse, parfois j’y sens une impuissance consciente à réaliser, par la main, complètement, l’œuvre que le cerveau a conçue, cherchée, voulue. Et, cette grimace, je ne la vois, cette impuissance,