Page:Octave Mirbeau - La 628-E8 - Fasquelle 1907.djvu/246

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au gardien de ces glorieux souvenirs une casquette ornée de quelques galons et méritait mieux que l’indifférence générale… Elle ne semble pas seulement digne d’admiration, parce que, soldats, ils défendirent intrépidement leur liberté, elle me paraît d’un héroïsme presque surhumain, parce que, surtout apôtres, ils se dévouèrent à préserver l’humanité de cet alcoolisme, pire que l’autre, que propage l’abus de l’or… Ils gardèrent l’or enfoui au profond du sol, comme on enfouit profondément des charognes, afin de ne pas infecter l’air qu’on respire, et ne pas empoisonner les hommes par des contagions mortelles… Ils recélèrent l’or, non pour en jouir à la façon des avares, mais pour en détruire, en les étouffant, les germes de folie et de mort… Recel – pour peu qu’il fût conscient – absurde, sans doute, mais sublime !

Voilà jusqu’où s’en allait mon imagination, à considérer les cartes, les plans, les trophées, les portraits des anciens en longues redingotes presbytériennes, les attelages de bœufs, les fermes, les bibles, les physionomies rigides, et tout ce qui évoque la grandeur épique de ces armées en vestons, de ces milices paysannes, victorieuses des armées en uniformes, laborieusement organisées pour le désastre…

Mais le premier moment donné au sentimentalisme, au culte ancestral des héros, je me pris à réfléchir…

Entre tous les enseignements que suggère l’histoire des Boërs, le plus raisonnable, le plus utile, ne peut-on le tirer de la déraison, de l’inutilité de leur résistance ?… Au Cap, aucune milice, même d’anges à trompettes et de saints miraculeux, n’eût réussi à détourner l’avarice, la cupidité, la frénésie des humains, de ces territoires de crime et de folie où de l’or se cache… Il leur faut leur poison, qui les fait vivre jusqu’à ce qu’il les tue. Combien