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Page:Octave Mirbeau - La 628-E8 - Fasquelle 1907.djvu/305

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toute cette gaîté sautillante, finiront, bientôt, en eau de boudin…

Ces animaux, dits inférieurs, donnent vraiment de beaux exemples au cheval qui n’en profite pas. Peut-être, est-ce la servitude trop étroite où il est retenu, peut-être l’éducation absurde de l’homme qui l’abrutit, à ce point ? J’ai bien peur que, même libre, dans ses prairies d’origine, il sache plus mal se défendre, et qu’il n’emploie sa force qu’à des sottises encore plus grossières… Sa masse de viande, son énorme charpente, ne sont-elles pas à la merci d’un loup, d’une petite panthère, d’un minuscule rat ?



L’âne n’est pas moins tenu de court, ni le mulet… Mais quelle différence ! Comme ils savent, l’âne et le mulet, juger la stupidité de leurs maîtres, leur ignorance pénible, leurs fantaisies inexplicables, leurs exigences contradictoires ! Et surtout, comme ils savent y résister avec un admirable courage… le courage de la raison !

L’incohérence leur est odieuse. Tous les deux, ils sont épris de logique et de réalités, ce qui fait croire qu’ils sont inéducables… Au lieu de toutes les manifestations de l’effroi des chevaux, de leurs brusques écarts, de leurs hallucinations subites, de leurs tête à queue, arc-boutements, ruades, galopades, reculs, toute la comédie vaine et bruyante, les ânes passent tranquillement, de leur petit trot raisonnable, regardent la machine sans peur, comme sans extase, infiniment moins puérils, beaucoup plus dignes… et, au fond, blagueurs !… Ça ne les épate pas !… Mieux que les chevaux, qui ont des nerfs féminins, qu’un rien agace et décontenance, ils savent très bien tenir tête à l’affolement de leurs conducteurs,