Page:Octave Mirbeau - La 628-E8 - Fasquelle 1907.djvu/63

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l’on nous servit de la cuisine simple et modeste, de la cuisine de siège. Les truites de la Meuse, annoncées sur la carte, furent, au dernier moment, remplacées par une plus humble friture de gardons, et l’on substitua de la charcuterie au rosbif promis ; tout cela de si bonne grâce que nous fûmes enchantés de notre dîner.

Près de nous, était attablée toute une famille : le père et la mère, la fille, le fils. Ils étaient arrivés, un peu avant nous, en automobile aussi… Partis de Paris, depuis trois jours, ils avaient été arrêtés, dans des endroits peu habitables, par toute sorte d’accidents… Ils en parlaient avec aigreur… La mère, surtout, se plaignait amèrement de la machine :

— Ce n’est rien… ce n’est rien… expliquait le père. Elle est un peu paresseuse, c’est vrai… Elle va s’échauffer…

Elle insistait :

— Je t’ai toujours dit que tu aurais dû acheter une Charron, comme les Levasseur, ou une Panhard, comme les Tripier… Ce ne sont pourtant pas des imbéciles, eux !… Ah ! c’est agréable, d’avoir tout le temps des pannes !

— Elle va s’échauffer… je te répète qu’elle va s’échauffer… Il faut qu’elle se fasse… Mais naturellement… Tu n’es pas raisonnable… Voyons, c’est comme des chaussures neuves… elles ne vont bien au pied qu’au bout de huit jours… Ah ! les femmes… la lune, tout de suite !

— Eh bien, moi, je te dis que nous n’arriverons jamais à Bruxelles, avec ce sabot-là…

Il se mit à rire bruyamment, se tourna vers nous, comme pour en appeler à notre témoignage :

— Sabot !… Une Brulard-Taponnier, douze chevaux !… Ah ! ah ! ah !…