Page:Octave Mirbeau - La 628-E8 - Fasquelle 1907.djvu/64

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— Tu verras… tu verras !…

Elle était couperosée, flasque, minaudière, et pessimiste. Pour bien prouver qu’elle était venue en automobile, elle avait conservé ses terribles lunettes, bien en vue sur son chapeau de feutre beige. Lui, gros, court, la joue ronde et rasée, la barbe en pointe, jovial, vulgaire, et brave homme, arborait orgueilleusement une casquette russe, ornée des insignes du Touring. Impossible d’être plus gauche, plus sottement fagotée que la fille. Sans fraîcheur, sans grâce, les oreilles livides et comme décollées, le cheveu pauvre, elle montrait déjà, sur le devant de la bouche, une denture toute gâtée… Quant au fils, le front bas, le menton fuyant, jaune et très maigre, le corps aveuli par des habitudes solitaires, il était totalement abruti… Famille bien française, comme on voit.

En voyage, nous ne cessons, nous autres de France, de nous moquer des familles allemandes, anglaises, italiennes, que nous rencontrons sur notre route, et qui, souvent, nous donnent l’exemple de la santé physique et de la bonne éducation. Avec une joie féroce et un imbécile orgueil, nous nous complaisons à relever, toujours à notre avantage, ce que nous appelons leurs ridicules, leurs tares, qui ne sont, peut-être, que des vertus… Mais il est entendu que rien n’est beau, élégant, pétulant, spirituel, rien n’est intelligent que de France. Les grands hommes d’autre part ne sont que de plats copistes, de honteux plagiaires. Dickens doit tout à Alphonse Daudet, Tolstoï à Stendhal… Ibsen est, tout entier, dans La Révolte de Villiers de l’Isle-Adam… Qu’eût été Gœthe sans Gounod et sans Thomas ?… Et pour ce qui est de Henri Heine, ne parlons pas, voulez-vous ?… de ce vil espion pensionné par Guizot… L’âme française, je la retrouve, toute, dans cette exclamation