Page:Octave Mirbeau - La 628-E8 - Fasquelle 1907.djvu/65

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de Brossette qui, un jour, à Kœnigsberg, me disait :

— Les Allemands, monsieur ?… quel peuple de sauvages !… Ils ne comprennent pas un mot de français…

Ah ! si pourtant nous songions quelquefois à mirer, dans nos familles à nous, nos infériorités de race, nos descendances d’alcooliques, de syphilitiques, notre lourdeur, notre stupidité haineuse ou jobarde ?

Cette fois, en considérant cette famille de mon pays, attablée près de nous, j’y songeai, avec quelle douloureuse humilité !

Ils allaient en Belgique. Jamais encore ils n’étaient sortis de France, et l’idée que, le lendemain matin, pour la première fois, ils franchiraient une frontière, entreraient dans un pays qui ne serait plus la France, cette idée-là les impressionnait, les troublait au delà de tout… Ils ne savaient pas trop s’ils devaient avoir peur, ou se réjouir…

Après le dîner, la table desservie, le père s’entretint longuement, avec le patron de l’hôtel, des industries du pays ; la mère tira de son sac un jeu de cartes et fit une patience ; la jeune fille feuilleta le Bædecker, et le fils, écroulé sur sa chaise, bouche ouverte et bras pendants, s’endormit profondément.

Tout à coup la jeune fille demanda :

— Mère !… qu’est-ce que c’est que le Manneken-Piss ?

— Veux-tu bien te taire ?… chuchota la mère, en glissant vers nous un regard inquiet… Veux-tu bien ne pas dire de ces choses-là, petite malheureuse ?

Mais la jeune fille appuya, ingénûment :

— Quelles choses ?… Puisque c’est dans le Bædecker !