Page:Octave Mirbeau Les Mémoires de mon ami 1920.djvu/41

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fus pas trop rassuré. Ma mère, sans doute, n’avait rien vu de tout cela. Elle n’avait vu ni ces murs, ni ces escaliers, ni ces visages, car je ne puis croire qu’elle ait, délibérément et consciemment, choisi ce coupe-gorge pour y loger son fils.

C’est dans cette maison de la rue Princesse que, huit jours après mon installation, il m’arriva la seule aventure dramatique de ma vie.

Une nuit – il pouvait être deux heures du matin – je venais de m’endormir. Je m’endormais très tard, parce que, ayant pu me procurer des livres, je lisais jusqu’à ce que la fatigue me fît tomber le livre des mains. Je venais de m’endormir, lorsque je fus réveillé en sursaut par un grand cri. Ce cri semblait avoir été poussé dans la chambre de gauche qu’habitait la vieille dame aux tapisseries. À vrai dire, je n’étais pas très étonné. Terrifié ? oui, peut-être. Mais étonné, non ! Ce qui m’étonnait, c’est que ce qui arrivait là ne fût pas arrivé plus tôt. J’écoutai, le cœur battant. Un second cri plus faible… puis, comme un bruit de lutte, un heurt de meubles, un paquet qu’on traîne, des chaises remuées, des coups sourds, et enfin, une voix de terreur, que je distinguai nettement, une voix de femme comme étouffée, et criant : « Au secours ! » au secours ! à plusieurs reprises… puis rien !

À la hâte, je m’habillai dans l’obscurité. Ma peur était telle que pour rien au monde je n’aurais voulu allumer une bougie. Dans la chambre voisine, tous les bruits avaient cessé. Et c’était maintenant, dans toute la maison, comme un silence de mort.

J’hésitai longtemps à prendre un parti. N’avais-je pas été victime d’une hallucination ? J’écoutai encore. Rien que le tic-tac de mon cœur qui battait avec force. Et ce silence me parut plus effrayant que les bruits, que la voix, que les coups sourds !

— Il faut que je sache ! me dis-je.

J’ouvris la porte, et me trouvai sur le palier. La veilleuse était éteinte. Je ne pouvais plus avancer. Pourtant, le courage ne tarda pas à me revenir ; le désir de savoir ce qui s’était passé là galvanisa ma terreur. Après tout, j’avais