Page:Octave Mirbeau Les Mémoires de mon ami 1920.djvu/47

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— C’est bien !

Puis il me laissa sous la garde des agents, il examina le cadavre, inspecta la chambre du crime, puis la mienne, toujours suivi du camelot obséquieux et bavard, qui, sans cesse, répétait :

— Monsieur le commissaire, voilà comment ça s’est passé…

Le commissaire de police était un petit homme gros et court et qui soufflait comme un bœuf. Malgré la gravité de l’affaire, il avait un air de pochard gai et bon enfant, que le souci de sa responsabilité ne parvenait pas à rendre sévère. Il ne me fit pas peur. Au contraire, son agitation m’amusa extrêmement. Il entrait, tournait, virevoltait, sortait, revenait et ressortait avec un empressement si comique, qu’il ressemblait à un fantoche de pantomime. Et le camelot fantoche aussi, mais sinistre, ne le quittait pas d’une semelle. Sur le palier, les gens de l’hôtel assistaient curieusement à ces allées et venues. Et moi, flanqué de deux agents indifférents et silencieux, je faisais comme les gens de l’hôtel, sans songer un instant que je fusse un des principaux acteurs de ce drame.

Lorsque le commissaire se fut enfin rendu compte et du meurtre de la vieille, et de la disposition des lieux, il ordonna aux curieux de se retirer chacun chez soi. Puis, s’adressant au camelot, qui lui soufflait dans le dos je ne sais quelles dénonciations :

— Qu’est-ce que vous foutez ici, vous ? Allez-vous-en !

Mais le camelot résistait :

— Puisque je l’ai vu, monsieur le commissaire ! Ma présence ici est indispensable. Je suis le seul témoin !

— Comment vous appelez-vous ?

— Isidore Borgne, monsieur le commissaire.

— Et qu’est-ce que vous faites ?

— Je suis camelot…

— Ah ! ah ! Qu’est-ce que vous faites, nom de Dieu ?

— Je vends des plans de Paris.

— C’est bien ! Foutez-moi la paix, maintenant.

— Mais, monsieur le commissaire !…

Le brave commissaire se fâcha, devant cette insistance, et appelant un agent :