Page:Octave Mirbeau Un gentilhomme 1920.djvu/98

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Puis ayant éprouvé les échines, palpé les membres, observé les muqueuses des yeux et de la bouche, il vérifia minutieusement l’aménagement des abris, l’installation des abreuvoirs, parut satisfait, mais n’exprima rien.

Le soir, nous eûmes à dîner deux gros fermiers des environs, personnages considérables dans le pays, influents, riches. L’un d’eux, maître Houzeau, gros homme, au cou et aux bras trop courts, bedonnant sous sa blouse bleue, le visage violacé, le nez somptueusement fleuri de bubelettes luisantes. Il était gai, farceur, alcoolique, apoplectique, très respectueux sous une apparente familiarité. L’autre, maître Poivret, les joues garnies de deux grosses touffes de poils bruns, durs et dressés comme des brosses, les lèvres minces et mouillées, toujours en mouvement, les dents très noires, sentencieux, éloquent, incompréhensible, se perdant sans cesse en des explications qu’il n’achevait jamais. J’admirai l’aisance avec laquelle le marquis pelotait, tripotait, maniait ces âmes de paysans… Il pensait comme eux, s’exprimait comme eux, émettait les mêmes préjugés, les mêmes manies, les mêmes plaisanteries grossières et puériles, sans dégoût… Ils parlèrent élevage, comice agricole, récoltes, femmes, puis politique… Comme tous les paysans normands, c’étaient d’ardents bonapartistes… Le marquis, qui se donnait pour royaliste intransigeant, se gardait bien de froisser