Page:Oeuvres complètes de N. Macchiavelli, avec une notice biographique par J. A. C. Buchon.djvu/407

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formé à de semblables fatigues, il y succombera ; et alors il ne pourra, ou éviter le danger qui le presse, ou obtenir une victoire complète.

Quant au maniement des armes, voici quels étaient les exercices des anciens. Ils faisaient revêtir à leurs jeunes gens des armes plus pe- santes du double que les armes ordinaires, et ils leur donnaient, au lieu d’épée, un bâton garni de plomb et d’un poids infiniment plus lourd : alors tout jeune homme enfonçait en terre un pieu qui devait s’élever de trois bras- ses, et être assez solide pour n’être pas brisé ou renversé par les coups qu’on pouvait y por- ter. C’est contre ce pieu, qu’armé d’un bou- clier et de son bâton, il s’exerçait comme con- tre un ennemi : tantôt, il tirait dessus comme s’il eût voulu frapper tantôt la tête ou la figure, tautôt le côté ou les jambes ; tantôt il se re- jetait en arrière, puis se reportait en avant. Il avait soin de se couvrir en même temps que de frapper l’ennemi ; et ces fausses armes étant fort pesantes, les armes véritables leur pa- raissaient fort légères un jour de combat. Les Romains voulaient que leurs soldats frappassent de pointe et non de taille ; ils jugeaient que ce coup était plus mortel et plus difficile à parer, que d’ailleurs il découvrait moins le soldat, et pouvait se répéter plus souvent que le coup de taille.

Ne soyez pas surpris que les anciens en- trassent dans tous ces petits détails ; car lors- qu’on en est aux mains, il n’y a point de petit avantage qui ne soit très-important ; et songez que leurs écrivains s’étendent à cet égard beaucoup plus que je ne fais moi-même. Les anciens croyaient que ce qu’il y a de plus dési- rable dans une république, c’est d’y compter un grand nombre d’hommes exercés aux ar- mies. Car ce n’est ni votre or ni vos pierreries qui vo ::s soumettent votre ennemi, mais seule- ment la crainte de vos armes. D’ailleurs les fautes dans lesquelles on tombe à d’autres égards peuvent souvent se corriger ; mais pour celles que l’on commet à la guerre, on en porte la peine sur-le-champ. Ajoutez que l’art de l’cs- crime donne une plus grande audace au soldat ; personne ne redoute ce qu’il a appris par un long exercice. Les anciens voulaient donc que leurs citoyens s’habituassent à tous les exercices militaires. Ils leur faisaient lancer contre ce pieu dont nous venons de parler des dards plus pesants que des dards ordinaires. Cet exercice, qui leur donnait plus de justesse dans leurs coups, fortifiait également les muscles de leurs bras. Ils apprenaient en outre à tirer de l’arc et de la fronde. Des maitres étaient préposés à ces divers exercices ; de sorte que lorsque leurs jeunes gens étaient élus pour la guerre, ils étaient déjà soldats et par le cou- rage et par l’instruction militaire. Il ne leur restait plus qu’à apprendre à marcher dans les rangs, ou à les conserver pendant la route ou pendant le combat ; et ils y parvenaient bientôt en se mélant à de vieux soldats qui depuis long-temps en avaient l’habitude. Cos. Quels exercices ordonneriez-vous aujourd’hui à vos troupes ?

FABR. Plusieurs de ceux dont je viens de parler. Je les ferais courir, lutter, sauter ; je les fatiguerais sous le poids d’armes plus pesantes que les armes ordinaires ; je les ferais tirer de l’arc et de l’arbalète, et j’y joindrais le fusil, arme nouvelle et devenue très-nécessaire. J’ha- bituerais à ces exercices toute la jeunesse de mon état, plus particulièrement et avec plus de soin encore celle que j’aurais choisie pour la guerre, et j’y destinerais tous les jours de fête. Je voudrais aussi qu’ils apprissent à nager, exercice très-utile au soldat. Il n’y a pas toujours des ponts ou des bateaux sur les fleuves, et si votre armée ne sait pas nager, elle se voit enlever une foule d’avantages et di occasions de succès. C’est pour cette raison que les Romains faisaient exercer leurs jeunes gens au champ de Mars, situé sur les bords du Tibre. Quand ils étaient épuisés de fatigue, ils se jetaient dans le fleuve pour se délasser et le passaient à la nage. J’ordonnerais en outre, comme les anciens, des exercices particuliers pour les hommes qui seraient destinés à la ca- valerie : par là, non-seulement ils apprendraient à manier un cheval avec plus d’adresse, mais à s’y tenir de manière à n’être pas gênés dans le déploiement de toutes leurs forces. Les anciens avaient pour ces exercices préparé des chevaux de bois sur lesquels leurs jeunes gens saulaient, armés et désarmés, sans aucune aide et de toute main. Aussi, au moindre signe du général la cavalerie était à pied en un moment, et