Page:Oeuvres complètes de N. Macchiavelli, avec une notice biographique par J. A. C. Buchon.djvu/408

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à un autre signe, elle se retrouvait à cheval. Ces divers exercices étaient très-faciles pour les anciens, et il n’y a pas aujourd’hui de république ou de monarque qui ne pût aussi aisément y habituer ses jeunes gens. On en voit la preuve dans quelques villes de la rivière du Ponent, où ils sont en usage. Là on partage tous les habitants en différentes troupes, et chacune d’elles prend le nom des armes dont elles se servent à la guerre ; c’est-à-dire : la pique, la hallebarde, l’arc et le fusil, et de là on les appelle les piquiers, les hallebardiers, les archers et les fusiliers. Chaque habitant doit déclarer dans quelle troupe il veut entrer. Tous, ou à raison de leur âge, ou par quelque autre obstacle, n’étant pas propres à la guerre, on fait dans chaque troupe un choix d’hommes, qu’on nomme les Jurés ; et ceux-ci, les jours de fête, sont obligés de s’exercer au maniement de l’arme dont ils portent le nom. La ville donne à chaque troupe une place pour les exercices ; et les dépenses qu’ils entrainent sont supportées par ceux de la troupe qui ne sont pas du nombre des Jurés. Ce qui se pratique dans ces villes nous est-il impossible ? Mais notre imprévoyance nous aveugle sur ce que nous avons de mieux à faire. Ces exercices donnaient aux anciens une excellente infanterie, et assurent encore aujourd’hui à celle de la rivière de Génes la supériorité sur la nôtre.

Les auciens exerçaient leurs soldats, ou dans leurs foyers, comme les villes dont nous venons de parler, ou au milieu des armées, comme faisaient les empereurs par les raisons que je vous ai développées[1] plus haut. Pour nous, au contraire, nous ne voulons pas exercer nos soldats dans nos villes ; nous ne le pouvons à l’armée, puisqu’ils ne sont pas nos sujets[2], el que nous n’avons pas le droit de leur commander d’autres exercices que ceux qu’ils veulent bien s’imposer à eux-mêmes. Voilà la cause du désordre des armées, de l’affaiblis- sement des constitutions, et de l’extrême fai- blesse des monarchies et des républiques, sur- tout en Italie. Mais revenons à notre sujet. Je viens de vous entretenir des divers exer- cices nécessaires à un soldat ; mais ce n’est pas assez de l’avoir endurci aux fatigues, de lui avoir donné de la vigueur, de l’agilité et de l’a- dresse, il faut encore qu’il apprenne à connai- tre ses rangs, à distinguer ses drapeaux et les sons des instruments militaires, à obeir à la voix de ses commandants, et à pratiquer tout cela, soit qu’il s’arrête, se retire, aille en avant, combatte ou fasse route. Si l’on ne le forme point à cette discipline avec tous les soins dont on est capable, jamais on n’aura une bonne ar- mée ; car il n’y a aucun doute que des hommes valeureux, mais sans ordre, ne soient plus fai- bles que des hommes timides mais bien disci- plinés : la discipline étouffe la crainte, et le dé- sordre rend la valeur inutile. Pour que vous puissiez mieux saisir les développements où je vais entrer à ce sujet, je dois avant vous expli- quer comment chaque nation, en organisant ses armées ou ses milices, en a formé différents corps qui ont eu partout, sinon le même nom, au moins le même nombre de soldats à peu près ; ils ont toujours été portés de six mille à huit mille hommes. Ces corps ont été nommés légion par les Romains, phalange par les Grecs, et en France régiment ; chez les Suisses, qui seuls ont conservé quelque ombre de l’ancienne discipline, ils sont appelés d’un nom qui, dans leur langue, revient à celui de brigade. Cha- que nation a partagé ce corps en différents bataillons qu’ils ont chacune organisés à leur manière. C’est ce nom plus familier parmi nous que je veux prendre, et j’emprunterai égale- ment les règles et des anciens et des modernes, pour arriver au but que je me propose. Comme les Romains divisaient leurs légions, composées de cinq à six mille hommes, en dix cohortes, je diviserai également notre brigade en dix ba- taillons, et je la porterai à six mille hommes de pied. Chaque bataillon aura quatre cent cirquante hommes, dont quatre cents pe-am- ment armés, et cinquante armés à la légère ; des quatre cent cinquante, trois cents porteront le bouclier et l’épée, et s’appelleront écuyers ou hommes de boucliers ; les autres, armes de piques, seront nommés piquiers ordinaires ; les armés à la légère seront cinquante fantassins portant des fusils, des arbalètes, des

  1. Liv. 1.
  2. Il ne faut pas perdre de vue que Fabrice Colonne était un général qui se mettait, avec le peu de troupes qu’il avait, ou même seul, au service d’une puissance d’Italie qui avait ses troupes et ses soldats,