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LE LAI DU DERNIER MÉNESTREL

servir après avoir rompu leurs lances ; mais le barde habile qui fut mon maître m’apprit tous les détails de cet événement comme je les rapporte. Il connaissait toutes les clauses des lois et ordonnances sur les combats, portées par lord Archibald-le-Noir, et recueillies du temps du vieux Douglas. Il ne pouvait souffrir qu’une langue téméraire accusât ses chants de mensonge ou d’inexactitude, et il donna la mort au barde de Reull, qui dans un festin avait blessé sa fierté par un pareil reproche. Ils combattirent sur les bords du Teviot, et leurs mains, habituées à pincer la harpe, furent teintes de sang. On voit encore fleurir l’épine blanche qu’il planta sur la tombe de son rival, en souvenir de sa victoire.

xxxv.

Pourquoi parlerais-je du sort cruel qui entraîna mon maître dans le tombeau ? Les jeunes filles d’Ousenam s’arrachèrent les cheveux et versèrent tant de larmes qu’elles en perdirent la vue, pour l’amour du barde qui mourut à Jedwood. Il mourut ; ses élèves l’ont suivi l’un après l’autre dans la tombe silencieuse ; moi seul, hélas ! je leur survis, pour me rappeler mes anciens rivaux, pour regretter de ne plus entendre leurs chants que je n’écoutais qu’avec envie ; l’envie qu’ils m’inspiraient s’est éteinte avec eux.



Le vieux ménestrel fit une pause, et les dames l’applaudirent de nouveau. Leurs éloges étaient en partie sincères, et en partie dictés par la compassion. La duchesse s’étonna que ses chants pussent si bien retracer des faits si anciens et des combats dont le souvenir n’existait plus. Comment pouvait-il célébrer des forêts que la hache avait renversées, des tours dont les ruines servaient de retraite aux animaux sauvages, des mœurs si étranges, des Chefs qui sommeillaient sous la pierre funéraire depuis tant de siècles, quand déjà la renommée avait effacé leurs noms des murs de son temple, et couronné la tête d’un nouveau