Page:Ohnet - L’Âme de Pierre, Ollendorff, 1890.djvu/121

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fusées de gaîté, et, aussitôt, un cercle de curieux se formait autour des adversaires, déguisant à qui mieux mieux leur voix pour échapper à la curiosité, tout en goûtant le plaisir d’attirer l’attention. De petites bandes de jeunes gens passaient, la fleur à la boutonnière, le domino traînant comme un brillant manteau. Des groupes de femmes les frôlaient et ils échangeaient de vifs propos.

Debout, dans un angle, adossé à la muraille, entouré de cinq ou six de ses amis, le prince Patrizzi causait, surveillant les allées et venues des masques qui défilaient le long du couloir. Il s’occupait, aidé de son état-major d’élégants viveurs, à deviner le nom des femmes qui, se croyant assurées de l’incognito sous le voile protecteur des dentelles, s’amusaient librement. Il avait déjà nommé plusieurs grandes dames et un certain nombre de belles filles, quand il poussa une exclamation d’étonnement :

— Eh ! c’est Jacques de Vignes, lui-même !…

C’était Jacques, en effet, brillant, superbe, le teint reposé, les yeux clairs, laissant flotter son domino bleu qui lui donnait l’air d’un galant cavalier de la Renaissance. Il venait, la main tendue, souriant, heureux, tel que l’avaient connu, deux ans auparavant, ceux vers qui il s’avançait, et non point voûté et triste, comme au début de la saison, le soir où le docteur Davidoff avait raconté de si fantastiques histoires après un dîner joyeux. La résurrection était complète, triomphante, presque insolente, tant Jacques laissait éclater la joie de sa jeunesse victorieuse, miraculeusement retrouvée.

— Cela va tout à fait bien, Jacques ? demanda le prince.

— Tout à fait, dit le jeune homme, comme vous voyez.

— Honneur à ce climat qui vous a rendu à vous-même et à nous, car vous étiez un bon vivant et vous le redeviendrez…

Le jeune homme s’adossa à la colonne, auprès de Patrizzi, et,