Page:Ohnet - L’Âme de Pierre, Ollendorff, 1890.djvu/127

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— Et si je consens à tout ce que vous exigez, nous nous reverrons donc ?

— Certainement.

Elle s’assit sur le divan de la loge, et se renversa en arrière, laissant voir, entre son masque et son domino, un cou d’une blancheur mate, et, sous les ruches de son capuchon, une oreille délicate et colorée comme une rose. Il se plaça auprès d’elle, avec une respectueuse froideur, quoiqu’il tremblât de désir, tant cette séduisante et mystérieuse créature avait, en quelques minutes, réussi à troubler ses sens. Il lui prit la main et doucement la déganta, puis il porta les doigts fuselés et blancs à sa bouche, et commença à les baiser, l’un après l’autre, avec une caressante dévotion. Lentement il gagna le poignet, et appliqua ses lèvres sur la naissance fine et satinée du bras, montant jusqu’à la saignée, effleurant de la caresse de sa moustache cette chair qui se moirait d’un frisson léger.

Ils restèrent ainsi, pendant quelques secondes, les yeux vagues, n’osant se regarder, les oreilles occupées du tumulte de l’orchestre qui déchaînait ses instruments dans un quadrille furieux. Le bruit des pieds frappant le plancher en cadence, les cris, les rires violents des danseurs, emplissaient la salle d’un joyeux vacarme. Et, au fond de cette loge obscure, tout près l’un de l’autre, Jacques et la femme masquée étaient dans une absolue solitude, plus libres que si le silence eût régné, que si le vide se fût fait autour d’eux. Très bas, et d’un ton câlin, il dit :

— Il me semble que vous ne m’êtes pas inconnue, et que je me suis déjà trouvé en votre présence. Ne voulez-vous pas montrer votre visage ?… Vous n’ayez, j’en suis sûr, qu’à y gagner. Vous êtes jeune, certainement jolie… Avez-vous donc des motifs pour vous cacher ?