Page:Ohnet - L’Âme de Pierre, Ollendorff, 1890.djvu/145

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Elle fit un mouvement pour s’éloigner, il la retint et, la regardant fixement, il dit :

— Ainsi voilà le secret de ton abattement et de ta souffrance ! Tu l’aimais ?

Elle répondit, sans hésitation et sans trouble :

— De toute mon âme. Avec ma mère et toi il était le seul qui occupât ma pensée.

— Tu n’as pas vingt ans. À ton âge il n’est pas de deuil éternel. L’avenir t’appartient tout entier.

— Elle pencha tristement la tête, puis avec une grande douceur :

— Ne parlons plus jamais de cela, veux-tu ? Ce serait me peiner inutilement. Je ne suis pas de celles qui oublient et qui se consolent. Dans le secret de mon coeur, le souvenir de Pierre sera l’objet d’un culte. Je penserai sans cesse à lui. Mais son nom, prononcé devant moi, me fait mal. Je te promets de me soigner et de ne rien négliger pour être mieux portante. Je ne veux pas vous tourmenter, ni vous donner des soucis. Mais laissez-moi la liberté de mon chagrin.

Elle adressa un doux sourire à son frère, et, solitaire, recommença à se promener le long de la terrasse. Lui, très affecté, entra dans la maison et monta à la chambre de sa mère. Mme de Vignes l’attendait anxieuse :

— Eh bien ? interrogea-t-elle en le voyant paraître.

— Eh bien ! j’ai causé avec elle, comme nous en étions convenus et je l’ai trouvée, sinon raisonnable, au moins très calme. Nous avions deviné juste : elle aimait Pierre. Elle a une affliction profonde et ne veut pas être consolée. Je supposais qu’une prolongation de séjour serait avantageuse pour elle, mais je me trompais. Je crois que le mieux serait de rentrer à Paris, et de faire reprendre à cette enfant ses habitudes anciennes. La solitude ne lui vaudra rien. Elle a trop le loisir