Page:Ohnet - L’Âme de Pierre, Ollendorff, 1890.djvu/146

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de s’y concentrer dans une idée unique. Notre monde la ressaisira, elle sera forcément distraite, et l’état de son esprit s’en ressentira, je l’espère.

— Faut-il donc commencer, tout de suite, les préparatifs du départ ?

— Non. Ce serait trop brusque. Dans une quinzaine de jours, nous pourrons nous éloigner de ce pays.

— Mais toi, cher enfant, le changement de climat ne te sera-t-il pas préjudiciable ? Nous ne sommes encore qu’au mois de mars. À Paris il fait encore froid…

— Qu’importe ! Ma santé est redevenue excellente, et c’est à Juliette seule qu’il faut penser.

— Eh bien ! j’agirai donc comme tu le conseilles.

Jacques baisa tendrement les mains de sa mère. La cloche du déjeuner sonnait, lis passèrent dans la salle à manger, où bientôt Juliette vint les rejoindre. La mère et le fils affectèrent de parler de choses indifférentes. Le repas fut court. Une contrainte pesait sur les convives, et ils se trouvaient d’accord pour souhaiter la solitude. Après le dessert, chacun d’eux se leva. Les deux femmes silencieusement rentrèrent chez elles. Jacques, seul, descendit vers le rivage, en fumant.

Une crique, dentelée de rochers rouges, était baignée par la vague murmurante. La verdure venait mourir au bord de l’eau, et, sur le sable, des mousses d’un vert gris, semblables à du lichen, poussaient vivaces. Jacques s’assit, et, dans la tiédeur exquise du soleil, se mit à songer. Tout était silencieux et désert. L’immensité devant lui et sur lui. Les cieux se confondaient avec la mer : à perte de vue l’azur. Ses yeux, fixés sur l’horizon lointain, se lassaient de regarder, éblouis par l’éclat limpide de l’atmosphère, fascinés par la mouvante sérénité des flots.

Peu à peu, le sentiment du réel s’effaça en lut, et il revit la