Page:Ohnet - L’Âme de Pierre, Ollendorff, 1890.djvu/23

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

— Allons-nous au Casino ? demanda Patrizzi.

— À quoi bon ? La soirée est si belle, marchons un peu.

— De quel côté allez-vous ?

— Sur la route de Menton.

— Et vous vous arrêterez, à un quart de lieue d’ici, à la porte d’une villa dont la grille est fleurie de roses ?

— Oui.

— Et vous en sortirez, tout à l’heure, furieux contre les autres et contre vous-même ?… N’allez pas chez cette fille.

— Et où voulez-vous que j’aille ? Si, vous obéissant, je rentre à mon hôtel, dans la solitude de ma chambre, je vais ne penser qu’à celle que vous me conseillez de fuir… Elle me possède bien, allez, et les liens qui m’attachent sont solides, puisque, malgré mes secousses désespérées, ils ne sont pas encore rompus. Après chaque effort, je retombe plus meurtri et plus faible, et plus captif. Et je me méprise, et je la hais !

— C’est pourtant facile de quitter une femme ! dit le Napolitain en souriant. Malheureusement on ne le sait qu’après. Avant tout, il faut essayer… Mais il est commode de prêter de la philosophie à ceux qui souffrent… Bonsoir, messieurs, je vais faire sauter la banque.

Il alluma une cigarette, et s’éloigna. Davidoff et Pierre Laurier se mirent à marcher dans la nuit, entre les jardins éclairés par la lune. Une douceur embaumée les enveloppait. Ils sortirent de la ville et, à leur droite, au bas des rochers qui dentellent la côte, ils aperçurent la mer, brillante comme une lame d’argent. La nuit était si claire que les fanaux des barques luisaient, au loin, rouges et mouvants. Ils ne parlaient plus, et suivaient la hauteur. Ils s’arrêtèrent, un instant, auprès d’une épaisse brousse de lentisques et de cactus, les yeux perdus dans l’espace et comme oppressés par l’étendue. Un bruit soudain, semblable à celui d’une bête qui