Page:Ohnet - L’Âme de Pierre, Ollendorff, 1890.djvu/30

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que je ne me plie pas à tes fantaisies, et ne m’enferme pas pour vivre avec toi tout seul…. Quelle séduisante perspective… ! En somme, tu es un ingrat. J’ai quitté, pour te plaire, Sélim Nuno, qui avait été excellent pour moi, et qui supportait, lui, tous mes caprices…. Je t’ai aimé beaucoup… oh ! tu le sais bien… ! Car, avant ta folie, tu étais un charmant et agréable garçon…. Mais voilà que, depuis trois mois, tu perds complètement la tête, alors bonsoir ! Moi, je ne sais pas soigner les aliénés : va dans une maison de santé.

Elle s’était adossée à la cheminée en parlant ainsi, et, dans son déshabillé de peluche rubis, le ton ambré de sa peau luisait comme de l’ivoire. Sa petite tête aux boucles frisées, supportée par un cou un peu long, avait une grâce exquise et, par l’échancrure de sa robe, sa-poitrine sertie, comme un bijou, par une précieuse malines, apparaissait voluptueuse, dans son orgueilleuse fermeté.

Pierre lentement s’approcha, et, s’asseyant sur un tabouret presque aux pieds de la jeune femme :

— Pardonne-moi, je souffre, car je t’aime et je suis jaloux.

Elle le regarda durement et d’une voix coupante :

— Tant pis ! Car je ne suis plus disposée à supporter tes soupçons et tes brutalités. Voilà pas mal de semaines déjà que je me tiens à quatre pour ne pas te le dire. Mais j’en ai assez. C’est fini, c’est fini, c’est fini ! Tu peux te dispenser de revenir.

Le peintre pâlit un peu.

— Tu me renvoies ?

— Oui, je te renvoie.

Il resta un instant silencieux, comme s’il hésitait à exprimer jusqu’au bout sa pensée. Puis, presque bas, avec la crainte de la réponse méchante qu’il prévoyait :