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les bagages de ceux qui avoient été tués, ils sortirent pour aller chercher une retraite plus sûre au milieu des montagnes du pays. Ils découvrirent un petit sentier fait par de certains animaux, appelés en langue tartare Archara, mais si étroit, qu’il n’y pouvoit passer qu’un homme à la fois ; il étoit environné des deux côtés de précipices affreux. Les Turcs fugitifs s’y engagèrent et entrèrent ensuite dans une plaine fort agréable qui étoit entrecoupée de ruisseaux. Ils se fixèrent dans ce lieu inaccessible où, pendant l’hiver, ils vécurent de chair ; pendant l’été, de laitage et de fruits. Ils donnèrent à cette contrée le nom de Erkené-Kom (vallon bordé d’escarpements, inaccessible).

« La postérité de ces deux chefs turcs se multiplia dans cette vallée. Celle de Kaïan (torrent impétueux), la plus nombreuse, fut appelée Kaïath. Celle de Nagos fut divisée en deux branches principales, dont la première porta le nom de Nagoster et la seconde celui de Derlighin. Tous ces peuples demeurèrent dans la vallée d’Erkené-Kom pendant plus de 400 ans et s’y partagèrent en différentes tribus ou hordes. Dans la suite, s’y trouvant trop resserrés, ils convinrent, dans une assemblée générale, de reprendre le chemin de leur ancien pays. Il ne s’agissoit plus que de retrouver ce fameux sentier qui y conduisoit et dont on avoit perdu la connoissance. Toutes les recherches furent inutiles et il fallut avoir recours au merveilleux. On rapporte qu’un maréchal, qui avoit examiné avec attention cette montagne, découvrit un endroit moins épais et d’autant plus favorable qu’il n’étoit composé que de matières ferrugineuses. Il proposa d’y mettre le feu ; on y appliqua soixante et dix soufflets de cuir à l’aide desquels on fit fondre ce métal, ce qui ouvrit un chemin par lequel un chameau chargé pouvoit passer. Toute la nation sortit, et, pour conserver la mémoire de cet événement, les Mogols célébroient tous les ans une fête : elle consistoit à mettre rougir dans un grand feu un morceau de fer sur lequel le Khan venoit donner le premier coup de marteau et, après lui, tous les chefs des hordes, pendant que