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imaginer tout le bien qu’il y avait à faire, ni faire tout celui qu’ils purent imaginer. Dût-on aujourd’hui nous tenir pour atteints et convaincus de manie enthousiaste, je prouverais, si j’étais digne encore de cette tâche, que jamais homme présent ni passé ne mérita autant de l’humanité.

Si je m’abstiens aujourd’hui par décence, et au futur par le sentiment de ma propre faiblesse, de payer le juste tribut de piété filiale que je lui dois, je ne renonce pas néanmoins à faire l’analyse de ses ouvrages. Je commençai dans le temps mes Éloges des hommes à célébrer, pour rendre justice au respectable Boisguilbert, trop oublié de ses concitoyens volages ; cette tâche est remplie, quoique non publiée. Si j’ai continué depuis, ce fut dans l’idée que si Dieu, selon la nature, me destinait à survivre mon maître, ce dernier devoir serait aussi le dernier emploi de ma plume, je m’en acquitterai.[1]

J’aurai peu à dire sans doute sur ses ouvrages, les miens ne sont que l’analyse des siens ; mais je rendrai justice à sa mémoire : je peindrai sa modération, sa sagesse, sa résignation, ses vertus. Je ferai voir d’où il est parti, où il est arrivé, quel emploi il fit de ses talents, de son génie, de sa faveur ; je dissiperai les ombres que l’envie voulut répandre sur sa carrière en lui faisant un crime d’avoir rassuré une tête faible, effrayée, et émoussé ainsi l’arme meurtrière que l’intrigue, hideuse et toujours active, avant-courtière des crimes réfléchis et préparés, présente sous toutes les formes à toute illégitime autorité. Je dirai ce qu’il fut, ce qu’il put, ce qu’il fit pour lui, pour les siens, pour les malheureux, pour le mérite ou réel ou en espérance ; ce que surtout il s’abstint de faire, et dans quel siècle, avec tant d’esprit, de perspicacité et de moyens ; avec quelle fermeté probe et concentrée il souffrit le vent subit d’une disgrâce aussi audacieusement ameutée que profondément méditée. La même région qui, le siècle passé, porta contre Catinat l’arrêt sensé des Abdéritains contre Démocrite, renouvela de nos jours ce décret odieux et stupide contre Quesnay. Je dirai enfin, avec quelle sagesse il choisit, il mesura, il rendit honorable sa retraite et donna sans ostentation comme sans faiblesse, le rare

  1. Le marquis n’a pas néanmoins tenu sa promesse. Il est vrai qu’un an après sa mort, un ouvrage a été publié sous ce titre : Hommes à célébrer pour avoir bien mérité de l’humanité par leurs écrits sur l’économie politique. Ouvrage publié par P. Boscovicli, ami de l’auteur : Bassano 1789, 2 vol. in-8o. Cet ouvrage ne contient rien sur Quesnay. A. O.