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Page:Opuscules et fragments inédits de Leibniz, Couturat, 1903.djvu/184

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préface a la science générale

nous sommes en estat maintenant d’y aspirer, et quelques unes de mes premieres pensees ont esté receües avec un tel applaudissement par des plus sçavans du temps, à cause de leur simplicité merveilleuse, que je croy qu’il ne nous reste à present, que de faire certaines experiences à dessein et propos deliberé, et non pas par hazard ⟨ et en tâtonnant ⟩ comme cela se fait communement ; afin d’etablir la dessus le bastiment d’une physique asseurée et demonstrative.

Or la raison pour quoy l’art de demonstrer ne se trouve jusqu’icy que dans les mathematiques n’a pas esté bien penetrée de qui que soit, car si l’on avoit connu la cause du mal, il y a long temps qu’on auroit aussi trouvé le remede. Cette raison est, que les Mathematiques portent leur épreuve avec elles : Car quand on me presente un theoreme faux, je n’ay pas besoin d’en examiner ny même d’en sçavoir la demonstration, puisque j’en découvriray la fausseté à posteriori par une experience aisée, qui ne coûte rien que de l’encre et du papier, c’est à dire par le calcul ; qui fera connoistre l’erreur pour petit qu’il soit. S’il estoit aussi aisé en d’autres matieres de verifier les raisonnemens par les experiences, il n’y auroit pas de si differentes opinions. Mais le mal est que les experiences en physique sont difficiles et coûtent beaucoup ; et en metaphysique elles sont impossibles ; à moins que Dieu ne fasse un miracle pour l’amour de nous, pour nous faire connoistre les choses immaterielles éloignées.

Ce mal n’est pas sans remede, quoyque d’abord il nous semble qu’il n’y en ait point. Mais ceux qui voudront considerer ce que je m’en vay dire, changeront bien tost de sentiment. Il faut donc remarquer que les ⟨ preuves ou ⟩ experiences qu’on fait en mathematique | pour se garantir d’un faux raisonnement (: comme sont par exemple la preuve par l’abjection novenaire, le calcul de Ludolph de Cologne touchant la grandeur du cercle ; les tables des sinus ou autres :) ne se font pas sur la chose même, mais sur les caracteres que nous avons substitués à la place de la chose. Car pour examiner un calcul des nombres par exemple si 1677[1] pris 365 fois[2] 612.105 on n’auroit jamais fait s’il falloit faire 365 monceaux et mettre en chacun 1677 petites pierres, et les conter à la fin toutes pour sçavoir si le nombre susdit s’y trouve. C’est pourquoy

  1. Ce nombre doit être la data de ce fragment.
  2. Ici un mot oublié (fait). On voit en marge la multiplication, barrée.