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HENRI CORNÉLIS AGRIPPA

tude, et tous les jours quelque bande de ces révoltés se séparait du reste pour aller faire sa soumission au roi. Mais les fauteurs de la sédition, ceux qui avaient pillé les biens de Janot, qui l’avaient pris et le conservaient chargé de chaînes, qui croyaient fermement que leur salut futur était dans la mort de Janot, ceux-là restaient en armes, bien décidés à ne pas se soumettre. Ils ne voulaient pas rendre à Janot la liberté : pour eux Janot vivant, c’était la proscription, la confiscation, l’exil, la mort. Qu’en est-il advenu depuis de tout cela ? Je n’en sais rien encore. Mais je reviens à ma personne. Vous le voyez, mes affaires s’étaient relevées ; j’étais en sécurité et je vivais tranquille, n’ayant que cette inquiétude de ne rien recevoir de vous, ne sachant où vous étiez, où vous vous cachiez, en dépit de tous mes efforts, de toutes mes recherches pour retrouver vos traces.

L’abbé me pressait de retourner à la Cour afin d’y réédifier ma fortune auprès de ce roi dont j’avais déjà éprouvé plus d’une fois l’affection et la munificence. Il y allait de mon intérêt, je le savais bien ; mais j’avais tout lieu de craindre que l’on ne m’employât encore à ces terribles et mystérieuses machinations dans lesquelles j’avais déjà couru tant de dangers. Cela me tourmentait de vous voir loin de moi, et je n’osais seul risquer ou tenter de nouveau l’ingratitude humaine. Sur ces entrefaites, le vieillard, dont je vous ai déjà parlé, Antoine Xanthus, revint me trouver, et actuellement il est encore chez moi. Ses conseils me donnèrent plus de hardiesse. Il m’excita vivement à voyager, à explorer des terres inconnues, à me mêler à de nouveaux peuples, à ouvrir toute grande ma voile au vent de la fortune ; je l’écoutai si bien qu’il fut obligé lui-même de modérer mon impatiente ardeur. Nous formâmes le projet d’aller en Espagne, puis de là en Italie, ce pays où nous avions au moins quelque chance de vous rencontrer.

Quant à Xanthus[1], il m’accompagnait. Vers le sept décembre, escorté de mon vieil ami et d’Étienne, nous quittâmes l’abbaye pour nous diriger vers Barcinone, où nous espérions trouver quelqu’un qui nous dirait enfin ce que vous étiez devenu. Nous nous y arrêtons trois jours ; nous y demandons en vain de vos nouvelles ; puis nous partons pour Valence, où Comparatus Saracenus, philosophe et astrologue des plus habiles, ancien élève de Zacut, ne peut absolument nous renseigner sur ce qui vous intéresse. Après avoir vendu nos chevaux, nous prenons la mer, longeons les Baléares, dépassons la Sardaigne et voguons vers Naples. Mais tant de déceptions nous y attendaient, tant de nos illusions furent déçues, la fortune enfin nous fut si contraire que nous nous décidons à revenir en France. Nous nous rembarquons donc et nous voilà sur l’Adriatique, puis dans la Méditerranée et nous arrivons à Lyon, ville libre où nous sommes parvenus en très bon état.

Voilà le récit des diverses aventures qui ont agité ma vie depuis que nous nous sommes séparés, depuis que vous m’avez quitté à la Vallée Ronde. Je me suis efforcé d’être bref. Je vous en raconterai les détails de vive voix quand nous nous verrons à Lyon ou que vous viendrez vous-

  1. C’est le surnom d’un ami inconnu d’Agrippa qui avait pris ce surnom de Xanthus (le Xanthus de Lydie était un historien grec du ve siècle av. J.-C.).