Page:Otlet - Problèmes internationaux et la guerre.djvu/36

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

peuple, chargés des questions internationales. Celles-ci, dans presque tous les pays, étaient des sujets réservés. Dès lors c’est aux gouvernements qu’il faut imputer à faute la guerre et ses maux affreux. Et en vérité qu’ont-ils jamais fait pour la paix ? À l’égard des bonnes volontés groupées eu associations, ils n’ont montré que de l’hostilité ou de la stricte politesse. Loin de prendre part aux discussions et aux réunions, ils ont toujours conseillé l’extrême prudence, la réserve, presque l’étouffement. Ils ont fait à peu près le silence autour des délibérations des plénipotentiaires réunis dans les conférences de La Haye. Ils n’ont en rien agi, par leurs écoles et par les institutions de la jeunesse, pour élever des générations nouvelles dans un esprit autre que l’esprit belliqueux dont ils étaient saturés eux-mêmes[1]. Les gouvernements ont agi comme les chefs de famille qui ne s’occupent que d’avoir des médecins, des chirurgiens, des pharmaciens, mais n’auraient aucun souci de l’hygiène, ne prendraient aucune des mesures nécessaires à la prévention des maladies. Quelles institutions internationales ont créé les gouvernements pour agir dans le sens de la paix et de la solidarité des intérêts ? Alors que leurs budgets militaires s’élevaient à plus de dix milliards, le budget de l’administration internationale n’atteignait pas deux millions ! Chaque jour, dans les journaux officieux se discutaient les armements des nations voisines, se jugeaient en termes violents les projets militaires des pays voisins. Des incidents par eux-mêmes insignifiants étaient transformés par les autorités officielles eu affaires d’État (Fachoda, Hull, affaire Schnoebelé, Maroc) ; les passions populaires étaient excitées, de l’assentiment même des autorités ; les injures de pays à pays couraient la presse, quelquefois les rues, souvent même les parlements. À l’insu de certains gouvernements, mais avec la complicité de certains autres, le consortium international des armements a pu mettre en coupe réglée l’Europe d’abord, et ensuite le Monde. Ce consortium a pu créer de toutes pièces une fausse opinion publique par des moyens vingt fois dénoncés (procès Krupp, affaire de l’Ouenza, scandale des dépenses navales du Japon, affaire Poutiloff, etc.). Ainsi les gouvernements sont responsables de leur inaction, de leur complicité, voire de certaines de leurs initiatives. Cédant tantôt à des intérêts particuliers, tantôt à l’ambition d’accroître leur puissance pour elle-même, ils ont sacrifié la paix, véritable intérêt supérieur et général de leurs peuples. Par leur fait, l’État en est arrivé peu à peu à représenter une chose distincte de celle du peuple qui le compose, une chose qui peut même avoir des intérêts tout différents[2].

  1. E. Arnaud, la Troisième Conférence de la Paix.
  2. Opinion d’un neutre : « Dans la présente guerre, comme dans toutes les guerres passées, toutes les nations qui s’entretuent prétendent être en état de légitime défense. Si l’on tient compte non seulement du moment, ou plutôt du prétexte choisi