Page:Otlet - Problèmes internationaux et la guerre.djvu/501

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pour dominer le monde[1]. Si elle y était parvenue, on peut s’imaginer ce qu’eut été la plus grande puissance navale entre les mains de la plus grande puissance militaire !

Les grandes puissances navales et coloniales tendent à établir à travers les océans chacune leur route à elles, avec étapes, stations de charbon et bases d’opérations navales. Ce sont de véritables chemins encerclant le globe, répondant à un besoin d’expansion mondiale des nations, tout opposé à l’ancienne conception de leur limitation dans des zones maritimes exclusives et limitées. L’Angleterre a établi des avant-postes impériaux qui gardent les sept mers, elle a sa « all Red Route » (la route toute rouge). La France possède à peu près la sienne (la route toute bleue ?) L’Allemagne a tenté d’en établir une.

La liberté des mers était une réalité avant la guerre. En fait elles étaient contrôlées par l’Angleterre qui les considérait comme routes conduisant vers ses colonies et avait créé une flotte considérable. La guerre déclarée, le blocus fut organisé par l’Angleterre contre l’Allemagne, en vertu des anciens principes de capture maritime ag raves. L’Allemagne riposta par la guerre sous-marine, réclamant la « liberté des mers[2] ».

Une solution devra intervenir à la fin des hostilités et tous les États ont des intérêts en jeu dans cette question. Par la mer toutes les nations sont voisines, et le sort d’un peuple, comme celui des individus, dépend pour une large part à l’heure actuelle du trafic mondial, lequel est aux trois quarts maritime. L’effort de tous les États pour avoir des ports eu mer libre, l’effort séculaire de la Russie dans ce sens est tout à fait caractéristique[3]. Mais en outre la mer doit être réellement libre, c’est-à-dire délivrée de la menace de ne plus l’être à certains moments. En interceptant les communications transatlantiques l’Angleterre reste maîtresse d’arrêter à sa guise et selon ses intérêts les rouages extrêmement délicats de l’économie mondiale. Elle n’a pas abusé de cette possibilité, mais il suffit qu’elle existe pour montrer ce que ce pouvoir a d’exorbitant et de troublant dans une

  1. Schultze-Gaevernitz, La mer libre, (1915).
  2. Sir Edward Grey, « Lettre à la Presse », du 28 août 1915 : « La liberté des mers peut être après la guerre un sujet très raisonnable de discussions, de définitions et d’accords entre les nations, mais pas toute seule, parce qu’il n’y a ni liberté, ni sécurité contre la guerre et les procédés de la guerre de l’Allemagne sur terre. » Le président Wilson dans ses observations relatives au Lusitania, a admis qu’il y avait à organiser la liberté des mers. D’autre part on a dit que les hommes politiques français et anglais seraient d’accord que la Méditerranée, la mer Rouge et la mer Noire doivent être neutralisées (déclaration de Garibaldi rapportant des entretiens avec Poincaré et Grey).
  3. La Russie ne pourrait avoir de port en mer libre que sur la mer Noire, — si les Dardanelles étaient à elle ou, internationalisées, — sur la Méditerranée orientale, par exemple Alexandrette, sur la mer de Chine ou sur le golfe Persique.