Page:Otlet - Problèmes internationaux et la guerre.djvu/74

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pas nécessaire que les principes sociaux, d’ordre avant tout pratique, remontent jusqu’aux idées ultimes de la science et de la philosophie. Des postulats généraux, des vérités relativement évidentes pour la grande masse peuvent servir de principes premiers suffisants. Enfin il faut tenir compte qu’il est certaines idées qui existent dans l’intelligence avant de reposer sur les faits. Elles déterminent l’action, laquelle leur donne à son tour un fondement a posteriori. Ce sont les idées-forces, qui ont une Immense valeur sociale[1].

3. Les principes, même expérimentaux ou acceptés comme vérité relative, ont quelque chose d’absolu, de général. Ils ne sauraient suffire à eux seuls. Pour subsister il faut les accommoder aux faits. C’est le grand et continuel conflit de la théorie et de la pratique, des principes et des applications. L’Église catholique romaine montre un grand exemple de société à méditer. Elle distingue ce qu’elle appelle la thèse et l’hypothèse. La thèse c’est son système un pour tous, appuyé sur des dogmes avec lesquels on ne peut intellectuellement transiger. Les Syllabus, par exemple, en condamnant les libertés modernes a déterminé certains principes de gouvernement, notamment la règle qui doit présider aux rapports entre l’Église et l’État. C’est la même que celle qui avait trouvé déjà son expression au temps de la querelle des investitures pour régler les relations entre le Pape et l’Empereur. En face de la thèse surgit immédiatement l’hypothèse, c’est-à-dire les cas particuliers, la nécessité de vivre avec les vivants, d’atermoyer avec des gouvernements, qui se réclament de tout autres principes. C’est ainsi que les catholiques ont pu notamment en Belgique, accepter loyalement une constitution qui proclamait les libertés modernes. En politique cette méthode a nom l’opportunisme[2].

4. La question des principes soulève un autre point intéressant : Les principes sociaux ne sont pas immuables. Contenant des vérités relatives ils changent leur nature avec le cours du temps. Les mêmes mots ne couvrent plus les mêmes choses, ou, indifférents hier encore, ils reprennent soudainement un intérêt capital. Qu’on en juge par cette guerre et le regain de vie populaire des anciennes formules, (droit, civilisation, liberté, etc.) qui en étaient réduites presque à une existence purement académique.

5. Le besoin pour toute société d’un système de principes caractérise la crise actuelle. Il ne suffit pas de quelques postulats séparés et sans lien les uns avec les autres. C’est un système qu’il faut. Du haut de la chaire des universités, de la pure spéculation scientifique, les principes doivent descendre jusque dans les masses qui les réclament. Elles sont mieux éduquées qu’autrefois, elles lisent, elles prennent part aux discussions publiques. Elles ont besoin de voir

  1. A. Fouillée, Les idées-forces.
  2. Chamoine Moulart, L’Église et l’État.