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ÉLÉMENTS INTELLECTUELS

Proudhon. « Il faut distinguer phraser de prouver, avant d’exiger des auteurs de telles conditions de certitude, il faut apprendre à ceux qui lisent, aussi bien qu’à ceux qui écrivent ce que c’est que phraser et ce que c’est que prouver. Tout le fatras, l’obscurité, les contradictions, l’entortillage, les inextricables prologues, les sophismes brillants et les séduisantes chimères dont nos livres regorgent ; toutes les incertitudes de l’opinion, les bavardages de la Tribune, le chaos dans les lois, l’antagonisme des pouvoirs, les conflits administratifs, le vice des institutions, viennent de notre misérable logique, de notre langage anti-sérielle.

Je veux que l’écrivain, plus ami de la vérité que de la gloire de bien dire, plus désireux de me convaincre que de me surprendre, sans négliger l’élégance du style, la forme de la pensée, la rapidité de l’exposition, fasse briller à mes yeux, dans une pénétrante analyse, le rapport des termes qu’il compare ; qu’il m’en fasse toucher du doigt la formule ; qu’il justifie de la propriété et de la suffisance de son point de vue ; que par la puissance des divisions et des groupes, par la magie des figures, il me montre, pour ainsi dire in concreto, la vérité de ce qu’il affirme ; surtout que dans la conclusion il ne dépasse jamais le champ de la série.

Il faut distinguer, phraser et prouver. »

(Cf. le n° 159. L’évolution simultanée des instruments intellectuels. 222.24 Notation Universelle.)
224.8 L’exposé et les formes intellectuelles dans la littérature.

En principe, de par son objet propre, la Littérature se distingue de la Science ; mais dans la réalité, la distinction n’est pas toujours facile à déterminer et en pratique elle n’est pas toujours observée.

L’objet immédiat de la poésie est de séduire, celui de l’éloquence est de persuader, celui de l’histoire est de décrire les faits vrais pour en instruire les hommes. L’objet de la Science et de la Philosophie est de chercher la vérité dans la réalité et dans les choses, et d’étendre le domaine de nos connaissances sur elles.

Les formes littéraires existent en grand nombre et entremêlent leurs éléments. On peut distinguer les formes élémentaires, la prose et la poésie, les genres proprement dits. Force est ici de se borner à quelques observations générales, laissant tout le développement aux Traités de Littérature.

Les formes élémentaires. — Les principales formes élémentaires sont la narration, la description, le dialogue. L’unité de pensée s’exprime dans la proposition. Suivant le sens et la manière d’être, la proposition prend des noms spéciaux : la Sentence est une proposition qui renferme un grand sens ; l’Axiome est une vérité première évidente par elle-même ; le Proverbe est une sentence devenue populaire ; l’Aphorisme est une sentence ou un précepte scientifique, qui résume en peu de mots de grandes vérités ; l’Apophtegme est un dit mémorable. La Narration est la partie du discours qui comprend le récit des faits ; l’exposition la précède et la confirmation la suit. On distingue ; 1) la narration oratoire : elle exprime le fait sous le point de vue le plus favorable à la cause ; 2) la narration historique : elle doit exprimer l’exacte vérité, mais ne le fait pas toujours ; 3) la narration poétique : elle est laissée à l’imagination du poète.

Poésie, Prose. — La prose et la poésie s’appliquent à presque tous les genres. De l’inspiration naquit la poésie (langage des dieux). Entre la poésie et la prose, il y a plus qu’une distinction fondée sur la mesure, la cadence et l’observation des autres règles poétiques. Ces deux formes de la parole répondent surtout à deux manières bien différentes de sentir et d’exprimer le vrai et le beau. On distingue les poésies lyriques, épiques ou héroïques, dramatiques, didactiques ou philosophiques, élégiaques, pastorales ou bucoliques, érotiques, satyriques, descriptives. Au point de vue du rythme et de la mesure, on distingue 1) la poésie rythmique. On y observe la cadence et le nombre de syllabes, mais non les quantités, car elles sont toutes réputées égales ; telle est la poésie moderne en général et celle aussi des Orientaux. 2) La poésie métrique. Elle repose sur la quantité des syllabes dont les unes sont brèves et les autres longues : ainsi la poésie grecque, latine, allemande.

Les genres littéraires. — Les principaux genres littéraires sont la poésie, le roman, le théâtre, l’histoire et la critique. Peu à peu, au cours des temps, ces genres se sont constitués. Puis les grands courants de la vie et de la pensée les ont transformés ; constamment il y a eu influence de chaque genre sur les autres.

L’Épopée. — À l’origine des peuples on trouve bien souvent des récits légendaires et poétiques, remplis d’actions héroïques et merveilleuses. Ainsi le Mahabharata et le Ramayana chez les Hindous, le Chah Nameh chez les Persans, l’Iliade et l’Odyssée chez les Grecs, la Chanson de Roland chez les Francs, les Niebelungen chez les Allemands. Il est des poèmes épiques qui ne marquent plus les origines d’une littérature, mais qui se rapportent de précédents : la Pharsale de Lucain, l’Énéide de Virgile, la Divine Comédie de Dante, la Jérusalem délivrée du Tasse, le Paradis perdu de Milton, la Messiade de Klopstock, la Franciade de Ronsard, le Télémaque de Fénélon, les Martyrs de Châteaubriand.

On donnait autrefois le nom de poème épique au récit d’une grande action nationale. On lui donne aujourd’hui celui d’encyclopédie poétique d’une civilisation (Charles Hillebrand, Études italiennes) L’Iliade, c’est la guerre de Troie et c’est le contraste entre le monde asiatique et européen. La Divine Comédie, c’est la lutte entre le Pape et l’Empereur.

« Pour composer une épopée, dit Lalo, voici la recette. On écrit vingt-quatre chants, contenant quelques dieux