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LE LIVRE ET LE DOCUMENT

aux enfers, quelques-uns au ciel, voire un en purgatoire si l’on est bon catholique, un songe ou au moins un sommeil, une prophétie, un ou deux dénombrements de quoi que ce soit ; enfin une bataille. Ce récit doit être essentiellement noble et métaphorique : en vers si l’on peut ; si l’on ne peut pas, en prose poétique. »

5o  Le Roman. — De tous les genres littéraires, c’est le roman qui est devenu au cours du XIXe siècle le genre littéraire par excellence. S’il est inférieur à la poésie pour l’expression directe du sentiment, il la dépasse de beaucoup quand il s’agit d’en donner une analyse détaillée ou de développer des idées philosophiques ou artistiques, et aucun genre, pas même le drame ou la comédie, ne peut rivaliser avec le roman pour la peinture de milieux historiques ou contemporains,

6o  Le Discours. — Toute parole d’une certaine longueur prononcée en public et avec une certaine méthode. L’orateur doit plaire, instruire et persuader. Les discours offrent la même variété que les genres d’éloquence : religieux, parlementaire, académique. Les rhéteurs divisent le discourt en sept parties : exorde, proposition, division, narration, confirmation, réfutation, péroraison.

7o  La Dissertation. — Est un discours philosophique qui diffère des compositions oratoires proprement dites en ce qu’il se borne à établir un point de doctrine par la voie du raisonnement, sans s’attarder à persuader en faisant appel à l’imagination et à la sensibilité. Analyser, exposer, déduire toutes les raisons qui vont à la même conclusion, réfuter les adversaires, être soi-même invincible ou irréfutable : c’est là toute la dissertation.

8o  Le Journal intime. — Des écrivains tiennent leur journal (Amiel (16, 000 pages), Mauriac, Gide, Barrès, de Vigny, Pierre Lougi, Katherine Mansfield). Pour certains, la fonction du journal est de nourrir l’œuvre et ils ne publient à l’état brut que des résidus, les pages qu’ils n’ont pas transformées en œuvres d’art, leurs carnets sont alors des recueils de notes qui servent pour leurs œuvres. Pour d’autres, le journal est bien le miroir de l’âme intérieure de qui l’écrit : une œuvre qui possède ses lois et son climat propre.

Le journal de Albert Schumann commencé le 12 septembre 1840, le jour de son mariage et où lui-même et sa femme devaient, alternativement chaque semaine, écrire tout ce qui les aurait touché tous deux dans leur vie conjugale. (Publié dans les Annales de Paris, 1932.)

9o  Biographie. — Elle peut prendre des formes variées : dire l’histoire de la personne ; être un exposé purement objectif de ses doctrines ou de ses opinions successives ; considérer la personnalité comme un document psychologique de valeur exceptionnelle. Les biographies seront mêlées à l’Histoire générale ; on a développé récemment le genre « biographie romancée » où la vérité objective, s’associe aux fictions de l’imagination.

10o L’Énigme. — De nos jours, l’énigme n’est guère qu’un jeu d’esprit. Mais les Anciens, et surtout les Orientaux, dont la langue abonde en images, l’employaient souvent pour exprimer des pensées plus ou moins profondes. L’Écriture a gardé le souvenir de quelques énigmes de Salomon, de Samson, etc. Dans la légende grecque nous trouvons l’énigme du Sphinx, celle d’Ésope. Longtemps négligée, l’énigme fut cultivée au XVIIe siècle par Boileau et par l’Abbé Cottin. Aujourd’hui nous la voyons remplacée par la charade, le logogriphe, le rébus.

225 Éléments scientifiques ou littéraires du livre :
Les données de l’exposé
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1. Le contenant. — Les éléments considérés précédemment sont ceux du « contenant » ou « forme » dans le sens large du mot (éléments matériels, graphiques, linguistiques, intellectuels). Les éléments considérés ici sont ceux du « contenu » ou « fond ». Ce sont les éléments scientifiques ou littéraires, les données mêmes de l’exposé faits et idées.

Derrière le Livre « contenant », il y a le « contenu », la Littérature au sens large, (les lettres, la « chose littéraire » : Res litteraria. Materia Bibliologica. Res scripta, l’Encyclopédie immatérielle des connaissances).

En fait, la matière des livres, c’est tout ce qui est constaté et pensé, senti et éprouvé, voulu et proposé. La division de la matière en scientifique, littéraire, pratique ou d’action sociale est relativement récente. Il y a eu au début confusion et mélange, puis lente différenciation. Cette matière n’a d’autre limite que la Pensée humaine, laquelle, elle-même, n’a en principe d’autres limites que la Réalité universelle.

Les traditions orales ont fini par être écrites comme les coutumes ont été rédigées ; les chansons populaires transcrites, les paysages, sites, les industries, les choses photographiées ou filmées.

À grands traits on peut répartir les livres produits dans les catégories suivantes : ouvrages anciens, ayant une valeur par eux-mêmes ou comme sources de l’Histoire ; ouvrages littéraires ; ouvrages scientifiques ; ouvrages techniques et professionnels ; publications administratives officielles ; publications commerciales.

2. Contenu de la masse des livres. — À quoi sont consacrés ces millions d’ouvrages, ces centaines de millions de documents écrits chaque jour, à la vie plus ou moins durable ou éphémère et dont, ne fût-ce que d’un instant et sur un point particulier, l’effet est venu s’inscrire dans la Réalité Universelle ? Tout le Travail de l’Intelligence aboutit à des pensées, à des unions, des combinaisons, des cycles de pensées, constituant les systèmes, les théories, faits des vérités, d’erreur, d’opinion. Il aboutit en un mot à des Idéologies qui tendent, par synthèse et élimination, à une mentalité Universelle et Humaine.