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DOCUMENTS BIBLIOGRAPHIQUES

tiques de l’esprit de chaque nation. Ils sont parmi les instruments de l’histoire d’une époque sous quelque face qu’on la veuille étudier. Nulle part ailleurs, on ne saurait trouver des renseignements plus nombreux. Et si on leur applique la méthode adéquate, dans leur ensemble plus sûr, c’est en interrogeant ces témoins des événements auxquels ils ont été presque toujours intimement mêlés, en les confrontant, en les contrôlant les uns les autres, qu’on peut arriver à la vérité.

Le journal est avant tout « Journal », c’est-à-dire relation des événements qui se produisent dans le monde au jour le jour, comme au temps d’une vie moins accélérée les « annales » s’écrivaient « à l’an l’an ».

c) Le journal offre ces trois tendances : 1o il s’adresse au public, à la grande masse de lecteurs (chercher à étendre leur nombre) ; 2o il concentre les nouvelles et les informations (s’efforcer de les multiplier) ; 3o étant périodique et assumant une fonction régulière, il tend à être le plus fréquent possible.

d) Le journal constitue une espèce bien caractérisée de document. Il constitue aussi un genre littéraire. Non seulement l’article de journal, son esprit, son allure, sa composition, mais le journal tout entier.

e) Le journal à un sou avant la guerre était même la sorte de livre la plus répandue aujourd’hui. Le journal est devenu la seule lecture de la plupart des gens. Aujourd’hui un grand journal, c’est matériellement et intellectuellement un livre, bien plus, presque une bibliothèque qui paraît tous les jours.

f) La Presse est devenue une puissance intellectuelle qui a extraordinairement grandi, ou plutôt, c’est la communication de la pensée humaine, faits et opinions qui a trouvé en elle un instrument de concentration, d’amplification et de diffusion que l’on ne pouvait soupçonner. Le cardinal Maffi disait à ses prêtres : « Vous prêchez le dimanche ; mais le journal prêche tous les jours et à toute heure. Vous parlez à vos fidèles à l’église ; le journal les suit à la maison. Vous les entretenez pendant une demi-heure ; le journal ne cesse de leur parler. »

g) La valeur de la Presse est bien inégale. Elle constitue même largement une non-valeur et pour certains de ses organes une anti-valeur.

« Les journaux, disait Jules Claretie, forment une usine formidable de renseignements, d’idées, de nouvelles, un moulin à paroles et à polémiques, broyant le grain quotidien, le blé, l’ivraie, les hommes et le meunier même. »

La science contient encore plus de choses que le journaliste le mieux intentionné n’en saurait y mettre. (Jean Labadie, L’Opinion, 18 mars 1922, p. 299)

L’exploitation d’un journal a un double caractère : entreprise de publication (information, polémique, littérature, fantaisie, reportage) ; entreprise de publicité (réclames, annonces, abonnements, fondation d’imprimerie).

Les Français ne pensent plus, n’ont plus le temps de penser ; ils ne pensent plus que par leur journal. Ils ont un cerveau de papier. Drumont.

Les défenseurs du journal moderne répondent à l’enquête de la Revue Bleue (1897) : « N’ayez que des choses sublimes et délicates à me confier, je parlerai un autre langage. Je ne représente plus une aristocratie intellectuelle, je représente la foule. Que la foule ait une âme, je serai une âme aussi. Je suis le Forum antique transporté à domicile : n’ayez que des orateurs dominés par l’idée de la Cité. Je suis la Bible éparse de l’Humanité : faites-moi des révélations dignes du génie de l’Homme. Réformez-vous, je me réformerai avec vous. »

241.322 HISTOIRE DES JOURNAUX.

a) Le journal a déjà une longue histoire dont les étapes peuvent être résumées ainsi. Origine : Abraham Verhoeven (« Nieuwe Tijdinghen ») à Anvers (1605) : Theophraste Renaudot en France (1631). (Bureaux d’adresses et de rencontres.) La Liberté de la Presse. Les Révolutions anglaise puis française donnent essor à la Presse. La presse à vapeur. Journal à bon marché. Marinoni et les presses rotatives. La « Presse jaune » américaine. L’Illustration. Marconi : les journaux conquèrent les océans et les nouvelles diffusées par radio.[1]

b) Les Romains ont connu les journaux, les quotidiens, sorte d’affiches qu’à l’époque de Jules César on allait lire aux carrefours de la ville. « Acta diurna populi romani »[2]

c) Avec, les « Acta diurna », il y a les Actes des premiers chrétiens. Il y a les correspondances des savants du XVIe siècle qu’ont renouvelées Guy Patin, Saumaise et Vossius, correspondances qui étaient les vrais journaux d’alors.

d) On a beaucoup recherché et discuté les origines du journal moderne comme on l’a fait des origines de l’imprimerie. C’est qu’il est difficile de décider à quel moment il y a encore simple écrit de circonstances, pièces isolées se rapportant à un seul événement (Relatio, Zeitung, Tijdinghen. Avviso, Couranten) et à quel moment il y a publication périodique continue. Il semble bien que l’origine doit être recherchée dans les « Nieuwe Tijdinghen »

  1. Eug. Hatin a écrit une « Histoire politique et littéraire de la Presse en France » (1859-1861, 8 vol.). Il y a procédé surtout par monographie consacrée à la fondation et au développement de chaque journal. Il y a joint des chapitres qui résument l’historique d’une époque, envisageant à la fois les grands et les petits journaux et une bibliographie générale de journaux. « Je me suis étudié, dit l’auteur, à rassembler tous les faits touchant à la presse, à les contrôler, à les coordonner, à montrer comment est né et a grandi le journal, par quelles phases successives et si diverses il a passé depuis deux siècles. C’est en un mot l’histoire de l’instrument plutôt encore que celle de ses effets que je me suis proposé d’écrire. »
  2. V. Leclerc : Les journaux chez les Romains.