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LE LIVRE ET LE DOCUMENT

d’Abraham Verhoeven, dont les premiers numéros ont paru le 17 mai 1605.[1]

e) Il y eut au XVIIIe siècle trois sortes de journaux : les gazettes officielles qui ne contenaient rien ; les gazettes orales que M. Funk Brentano a étudiées dans les Nouvellistes ; les gazettes clandestines ou nouvelles à la main, étudiées par Paul Beyle et J. Herblay dans la Nouvelle Revue.

f) Jusqu’à la Révolution, la lecture d’une Gazette, agent de renseignement, demeure le privilège des classes riches. Leur prix était trop élevé pour la bourse des paysans ou des ouvriers. La lecture et la difficulté des communications leur fermaient les campagnes, tout aussi bien que le matériel des imprimeries était impropre à en produire une quantité considérable d’exemplaires. Elles ne recrutèrent guère de fidèles dans les classes proches du peuple. Les petits bourgeois de Paris se cotisaient pour les acheter en commun ou payaient leur location aux cabinets de lecture.

Les journaux révolutionnaires conquirent un instant la foule, une foule restreinte il est vrai, formée par le peuple parisien. Aussi délaissèrent-ils le domaine aride de l’information pour se jeter dans la bataille politique. Aussi les contemporains consacrèrent-ils la presse sauvegarde de toutes les libertés et même éducatrice du peuple. Sous l’Empire la Presse a subi un dur esclavage.

Pendant la Révolution, époque d’effervescence du journalisme, on arbora toutes les dénominations pour lancer un journal. Ils s’appelaient des bulletins, feuilles, annales, chroniques, courriers, postillons, messagers, avant-gardes, avant-coureurs, sentinelles, spectateurs, observateurs, indicateurs, miroirs, tableaux, lanternes, etc.

g) Lorsqu’après Napoléon la presse se releva, elle retourna à son rôle politique. Les hommes de la Restauration l’y convièrent. La plupart des journaux toutefois coûtaient encore fr. 0.15, ce qui tenait à l’écart la masse des paysans et des ouvriers. Toutefois, le journalisme étendit alors le champ de sa clientèle dans de vastes proportions, car il conquit définitivement les provinces où les feuilles de l’ancien régime et surtout de la Révolution avaient déjà poussé d’heureuses reconnaissances.

Vers 1800, les « Nouvelles » de Paris arrivaient en quatre jours ; celles de Londres en dix ; il fallait deux semaines pour recevoir les correspondances de Vienne ; un mois pour celles de Rome.

h) Au XIXe siècle, la révolution dans la diffusion même du Journal fut faite par M. de Girardin. Jusque là le journal, à raison de son prix élevé, était considéré comme un objet de luxe. En 1835, la presse politique comptait à

Paris et en province à peine 70,000 abonnés sur une population d’environ 33 millions d’âmes. La raison était dans leur tarif d’abonnement. Le Journal de Paris coûtait avant la Révolution 24 livres pour Paris et 30 pour la province, le Mercure, bien qu’ordinairement mensuel, 24 et 32 livres, enfin les gazettes étrangères coûtaient, en 1779, celle d’Amsterdam 48 livres, celle de Clèves 42. Girardin fixa le prix de la Presse à 40 francs par an, les annonces devaient couvrir la différence. Dès 1838 la page d’annonce était affermée 150,000 francs. La réforme d’Émile de Girardin, le journal à 5 centimes acheva la pénétration de la presse dans toutes les classes de la société. Ainsi le journal est devenu pour tous, « comme le tabac, comme le café, un besoin impérieux de notre existence. »

L’abolition du timbre sur les journaux a été aussi un pas vers la Presse à bon marché. La publicité en est un autre. Un autre moyen de lancement de la presse fut le roman-feuilleton, dont Alexandre Dumas et Eugène Sue furent les écrivains souvent aussi plus littéraires que moraux.

Le journalisme a pris son essor aussi grâce à la facilité des communications, à la transmission instantanée pour ainsi dire des nouvelles, au perfectionnement de l’industrie du papier et la machine à imprimer.

À la fin du XIXe siècle. Paris possède une soixantaine de journaux quotidiens, qui comptent parmi leurs rédacteurs et directeurs les hommes politiques les plus considérables, passant de la rédaction au pouvoir et du pouvoir à la rédaction. La presse en province compte 3,200 journaux, parmi lesquels près de 1,200 quotidiens.

En 1704 parut en Amérique la première Gazette hebdomadaire. Un siècle plus tard, le journal américain au plus fort tirage ne dépassait pas 900 exemplaires quotidiens. En 1871, on ne comptait pas dans toute l’Amérique plus de 11 journaux arrivant à sortir par jour 10,000 exemplaires. En 1896, le tirage total quotidien des journaux américains s’élevait à 8 millions pour atteindre en 1929 66 millions d’exemplaires. En même temps les formats se sont agrandis et nul ne s’étonne de 60 pages quotidiennes et de 200 pages dominicales de certains journaux.

i) Tous les moyens offerts par la science moderne ont été mis à contribution par le journal pour se procurer des nouvelles (et au besoin les inventer), pour multiplier rapidement ses manuscrits, pour porter instantanément le papier noir et blanc à ses lecteurs.

On voit succéder les inventions suivantes. Jusqu’en 1832, les journaux étaient imprimés à la main. Cette année-là est introduite la presse à vapeur. Puis les presses rotatives (cylindre), La stéréotypie vient permettre de les multiplier, la composition en cylindres courbés la perfectionne. Des machines multiples sont construites combinant 6 ou 8 presses et tirant 100,000 à l’heure. La composition se fait à la linotypie et à la monotypie. L’extension des chemins

  1. A. Govaert : Origine des gazettes et nouvelles périodiques, Anvers 1880. — Van den Branden : Abraham Verhoeven. — Patria Magazine, avril 1933 : Het stormachtige leven van Abraham Verhoeven, de eerste Courantier van Europa.