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DOCUMENTS BIBLIOGRAPHIQUES

de fer qui transportent les journaux. La télégraphie, les câbles, les téléphones, la T S. F.

j) De nos jours deux tendances : Les grands journaux de Paris ont pour caractéristique leurs chroniques criminelles. La chronique judiciaire, dit Tarde, à elle seule a fait commettre plus de crimes par la contagion du meurtre et du vol que l’école n’a jamais pu en empêcher. Les journaux de province ont pour caractéristique les personnalités. Parce que le peuple comprend plus aisément les images concrètes que les idées abstraites, ils délaissent la discussion des idées et ne combattent les opinions qu’à coup de personnalités offensantes sur ceux qui les prônent. Tous ils poursuivent non pas le bien de la foule, mais leur argent et la déclaration d’éducation et d’autres belles choses ne sont que des mots de façade derrière quoi se fait la besogne cupide. J. Pigelet.

k) Quant à l’avenir il semble devoir être caractérisé par la concentration des journaux ; la transmission instantanée des illustrations à distance. Les substituts du journal : la radio (journal diffusé, la presse parlante ou informations journalistiques à domicile) ; le cinéma (actualités, la presse filmée). Demain la presse télévisionnée.

241.323 FONCTION DES JOURNAUX. OPINION PUBLIQUE.

a) Aujourd’hui sont intéressés aux journaux : 1° le public des lecteurs ; 2° les gouvernements ; 3° les différentes organisations qui veulent éduquer et diriger les masses, créer ou entretenir des mouvements dans l’opinion ; 4° les propriétaires des journaux ; 5° les journalistes, écrivains, rédacteurs ; 6° le personnel ouvrier, administratif et technique ; 7° les annonciers.

b) C’est par la presse que se poursuit l’œuvre de démolition, de défense et de reconstitution sociale. Le mot de Mgr Ketteler est devenu célèbre : « si Saint Paul revenait au monde, il se ferait journaliste ».

Trois cas sont à distinguer : 1° la propagation de faits et des nouvelles exacts et objectifs. Ils conduisent immanquablement à une meilleure compréhension mutuelle à travers le monde ; 2° la fausse nouvelle. Elle trouble les esprits et les excite les uns contre les autres ; 3° l’absence de nouvelles. Elle engendre l’ignorance et crée la peur avec ses malentendus, et finalement la haine. Il faut compter avec la conspiration du silence. Il est des pays où la Presse n’aborde pas toutes les questions.[1]

Les journaux ont une action quotidienne continue. Il y a eu des campagnes de presse célèbres. Par exemple, celle de Cornély dans le Figaro, à propos de l’affaire Dreyfus. Chaque jour un petit article incisif, éloquent, ramassé, précis, du trait, de la bonne humeur et surtout de la persévérance, de l’unité et de la méthode. Chaque jour une goutte tombait et peu à peu la trouée se faisait dans la conscience publique. Ce fut un merveilleux exemple de ténacité et de persuasion. Que dire de ce qui s’est passé avant et après la guerre : le bourrage de crânes.

c) C’est par la voie de la Presse, et non plus par les revues et les livres que les savants, les explorateurs, les novateurs exposent au public leurs nouveaux concepts, leurs découvertes, leurs théories. Par l’abaissement du prix des journaux, ceux-ci pénètrent partout, jusque dans les bourgades les plus reculées. La politique a fait place à l’information et se réfugie dans les quotidiens spéciaux.

d) On a longtemps pensé que la liberté de la presse à elle seule pouvait être le remède aux maux engendrés par la Presse. Avant la guerre encore, on pouvait écrire de bonne foi :

« Grâce à la liberté de la Presse, le peuple est toujours assuré d’être éclairé du pour et du contre sur toutes les affaires. L’information contradictoire, la discussion, le droit de réponse qui mènent, l’instruction des partis politiques apportent à tous les intéressés les éléments multiples et opposés parmi lesquels on peut choisir les témoignages et juger les dépositions.

Mais par-dessus tout, la liberté de la Presse favorise la défense de tous les intérêts et sauvegarde la nation contre les entreprises de ceux qui, possesseurs du pouvoir, seraient tentés d’en abuser à leur profit, ou bien au bénéfice d’un petit nombre de privilégiés. Si les scandales politiques, si les malversations sont devenus extrêmement rares comparés à ce qu’ils étaient sous l’ancien régime, ce n’est point parce que la nature humaine a changé beaucoup, c’est surtout parce que la publicité des journaux a transformé les administrations en maison de verre où tout se passe au grand jour. À la vérité la liberté de la Presse est indispensable, mais insuffisante. Le problème ici se pose dans les mêmes conditions que pour la liberté économique. Elle est précieuse, mais à soi seule insuffisante. » Jules De Bock, Le Journal à travers les âges, p. 131.

241.324 CARACTÉRISTIQUES.

a) Spécification. Dans sa forme actuelle, avec son esprit, ses tendances, son objet, le journal apparaît donc comme une création tout à fait spécifique, nettement différente du livre et du périodique. Sans doute entre les matières du livre et celles du journal la ressemblance peut exister et rien n’empêcherait de débiter par tranches beaucoup de livres (ex. : feuilletons, etc). Mais la matière ici est secondaire. Le fait de présenter chaque jour à des lecteurs des informations sur des questions qu’ils n’ont pas sollicitée, dans une forme mâchée, kaléidoscopique, panoramique, avec un but comme en a un l’avocat d’une cause, là résident les différences essentielles. Et c’est dans leur maintien et leur accentuation peut-être qu’il faut voir l’avenir du journal. Il n’est pas trop de

  1. M. de Tressan, France. Assemblée de la Société des Nations. Journal 1932, p. 233.