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DOCUMENTS BIBLIOGRAPHIQUES

c) Le numéro du samedi 14 décembre 1929 d’un grand journal parisien donne une juste mesure de la mentalité de certains organes dits « d’information ». En première page, trois colonnes sur les massacres de Palestine, une colonne sur la trombe d’eau de l’Hérault, trois colonnes sur le cadavre découvert dans une malle, à Lille ; deuxième page : trois colonnes et demi sur le cadavre dans une malle, un conte, un feuilleton et de la publicité. On a souvent dénoncé la façon dont la presse parisienne dite d’information comprend son rôle.

d) La Presse française s’est distinguée à toutes les époques par le soin et la recherche des grandes et belles formes littéraires.

On a demandé que l’article de journal soit court, concis, complet, simple et pourtant élégant ; qu’il ne dépasse pas une colonne, un bon millier de mots. En Angleterre le Globe n’accepte pas d’articles dépassant 1200 mots, le Daily News, mille mots, payés 1 livre, le Daily Graphic, 900 mots. « Je lis rarement sans colère ou sans fatigue un article de raisonnement, tandis que je ne me fatigue pas d’apprendre des faits », disait Zola.

La lecture des journaux est facilitée par des titres détaillés et la place constante des articles.

e) Le classement des matières prend une importance partout dans un journal qui atteint jusqu’à 16 et 20 pages et qui paraît en éditions presque continues. Ce classement prend comme base soit les catégories de nouvelles, soit l’ordre où elles parviennent, soit les pays, soit les « formes » des articles (article de fond, correspondances, reportage, interviews, comptes rendus, etc.)

En général le classement des matières dans les journaux présente quelque chose d’ahurissant, comparé à la belle ordonnance du livre. C’est la confusion même et la lutte entre articles et informations pour capter l’attention. Le journal rappelle le spectacle désordonné de la rue ou du voyage, avec peu d’efforts pour aider l’esprit à classer et lire les faits et à attribuer à chacun son importance relative.

Les feuilles américaines, suivies par les feuilles continentales, classent les matières en amorçant toutes les principales à la première page et en renvoyant pour la suite aux autres pages.

La Neue Freie Presse met ses télégrammes en vedette. La Kölnische Zeitung les éparpille dans son texte pour obliger à le parcourir. Le Berliner Tageblatt met dans chaque numéro le fait sensationnel qu’il faut avoir lu, la Frankfurter Zeitung publie des renseignements détaillés sur des faits de politique internationale ou de commerce.

Voici la décomposition et la mise en page d’un numéro du Daily Telegraph :

1re p. : Annonces de mariages, d’établissements de bienfaisance, de séances musicales, de voyages, annonces légales, etc. — 2e p. : Cours de la Bourse et publicité financière. — 3e p. : Compte rendu des divers marchés commerciaux anglais ; départs des paquebots ; un ou deux articles d’intérêt général. — 4e p. : Chroniques musicales et littéraires avec des clichés d’annonces d’éditeurs de musique et de marchands de pianos. — 5e p. : Articles divers et problèmes d’échecs. — 6e p. : Annonces sportives et chroniques de sport ; informations religieuses et nouvelles diverses. — 7e p. : Suite des diverses rubriques sportives et clichés d’annonces sur deux colonnes. — 8e p. : Annonces théâtrales et annonces diverses de droguistes, parfumeurs, grands magasins ; les informations du jour ; une annonce pour le journal même. — 9e p. : Articles divers, nouvelles. — 10e p. : Informations étrangères ; Bourse des États-Unis. — 11e p. : Critique d’art, nouvelles du continent. — 12e p. : La mode et des annonces de couturières, de modistes, etc. — 13e p. : Informations militaires et navales, annonces à la ligne d’éditeurs, d’institutions, etc. — 14e, 15e et 16e pages : petites annonces diverses.

f) La manchette est la phrase que certains journaux impriment en tête, près de leur titre et qui varie chaque jour. L’Œuvre a lancé ce genre qui est difficile. Une bonne manchette doit être courte et suggestive plutôt qu’explicite. Elle n’impose pas une idée toute faite : elle donne à réfléchir.

g) En dehors de la réclame tapageuse qui attire l’œil, il y a l’annonce proprement dite, qui est comme l’instrument d’une société de services mutuels créée pour le journal et qui est à encourager. C’est le moyen le plus rapide et le plus direct de rapprocher l’offre et la demande. Le Times publie régulièrement plusieurs pages supplémentaires d’annonces, comprenant ensemble de 60 à 80 colonnes de 300 lignes chacune. En Amérique, il y a des jours où le Herald publie 4,500 annonces réparties en 100 colonnes et embrassant toutes les branches d’affaires, tous les besoins de la vie contemporaine. Elles sont rangées avec tant d’ordre et sous tant de rubriques diverses que le lecteur trouve sans peine ce qu’il cherche dans cet océan de lignes microscopiques. Le Times fait parfois 50,000 fr. d’annonces par jour ; une feuille de Berlin, en trois semaines, a enregistré 400,000 fr. d’annonces.

Mais il y a excès maintenant : l’annonce est doublée par la réclame et triplée par la propagande.

Le journal, cette admirable machine intellectuelle, retourne à la matière. Il finit par être entièrement doté par la publicité. Il en a besoin pour vivre, pour faire ses dividendes, alors deux conséquences s’imposent. D’une part, cherchant sans cesse à étendre son tirage afin de pouvoir hausser ses tarifs de publicité, il descend le niveau moyen de ses lecteurs et fait appel à leurs plus bas sentiments, à leur regrettable ignorance. D’autre part, il se tait sur les questions vitales pour ne pas déplaire aux puissants qui lui achètent sa publicité et menacent de la lui retirer dès que les articles parlent clair et franc.