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DOCUMENTS BIBLIOGRAPHIQUES

m) À côté des affaires publiques, il y a les affaires privées. Ici l’une des formes de l’action de la Presse est « le chantage ». Quand un journal connaît sur quelque personnalité une anecdote qu’il lui serait peu agréable que le public connaisse, il lui propose un marché en lui vendant son silence. Des banques ou entreprises financières achètent ainsi la publicité des journaux ; ils leur achètent les numéros ou les subventionnent. M. Vallé a estimé que pour l’affaire de Panama, la Presse a reçu 14 millions.[1]

n) Par la trustification on voit se réaliser graduellement une « Internationale de la Presse ». C’est celle-ci, hélas, bien triste à le constater, qu’on a dénommé l’Internationale du fascisme et l’Internationale sanglante des armements.[2] Ainsi sous nos yeux et par des voies différentes toutes matérielles se constitue une puissance spirituelle énorme qui rappelle celle des religions autrefois, des grands Pontifes qui les dirigent. Mais elles avaient, elles, de Grands Inspirés.

241.328 LE PUBLIC. LES LECTEURS.

a) Le lecteur suit son journal. Il a confiance en lui, il raisonne comme lui ; il en reçoit les faits avec une appréciation exprimée à leur propos. On peut constater que lorsque la direction d’un journal change sans que le lecteur en soit averti, le lecteur à son tour change d’opinion.

b) Le public comprend-il les journaux qu’il lit ? Connaît-il assez de mots pour cela. M. Bony a cherché à répondre en analysant le n° du 9 juillet 1920 du journal Le Temps. Il y a relevé 45,500 mots sur lesquels 2,800 noms propres et une centaine de mots étrangers. Il s’y trouvait donc environ 42,600 termes du langage courant. Sur ce nombre il y avait 3,838 mots différents. De sorte que, rien que pour lire ce numéro, il fallait connaître près de 4,000 termes. La 1re page contenait 1,371 mots différents ; la 2e, 780 ; la 3e, 551 ; la 4e, 470 ; la 5e, 406 ; la 6e, 260. Encore les mots ne comprenaient ni les pronoms et adjectifs possessifs. Et pour comprendre « actif », il faut connaître « acte », et comprendre « barque » pour « débarquer », etc. En outre des mots ont plusieurs sens ; « malaise économique », « mécanisme du crédit international ». En somme pour comprendre ce numéro du Temps, il faut comprendre environ 6,000 mots. Pour enseigner ce vocabulaire à un enfant, en supposant qu’il en connaisse 1,000 et qu’il puisse en retenir 20 par semaine, il faudrait six ans.

c) Parmi ceux qui lisent les journaux, peu lisent autre chose et comme le remarque Tanneguy de Wogan, aucune lecture n’est plus préjudiciable à l’habitude de l’attention soutenue que celle-là. La lecture du journal ne fixe jamais l’esprit sur un sujet quelconque pendant plus de 3 ou 4 minutes à la fois et chaque sujet vient présenter un changement de scène complet. Il en résulte que le nombre de lecteurs du livre diminue graduellement et d’une manière continue chez toutes les nations civilisées. L’influence immédiate du livre sur la politique et sur la société diminue aussi proportionnellement. Les idées de l’auteur du livre ont à passer par le crible du journal avant de pouvoir exercer leur effet sur l’esprit populaire.

Pour la propagande par la Presse, une idée doit pouvoir prendre la forme de quelque « nouvelle ». Alors elle est communiquée par les agences, elle est lue et les journalistes en font matière à article.

d) De l’avis des criminalistes, rien n’est plus favorable aux attentats que la reproduction à fort tirage et avec force détails, des crimes et des délits de tout genre.

e) Le public n’a-t-il pas la Presse qu’il mérite ? Une enquête a été poursuivie sur cette question : raison poussant vers la lecture d’un tel journal plutôt que tel autre. Cette enquête a obtenu ces trois sortes de réponses : 1° lu par habitude ; 2° pour les annonces ; 3° pour la nécrologie.[3]

241.329 ORGANISATION.

Un journal exige toute une organisation, impliquant direction, collaborateurs, ateliers de production, services administratifs. Tous les progrès réalisés dans l’art d’écrire et de reproduire, dans la coopération intellectuelle, dans l’administration, trouvent application ici. L’organisation s’opère dans deux directions : organisation interne de chaque journal et organisation générale de l’ensemble de la Presse.

1. Science du journal (journalisme).

Il s’est constitué une science du journal. Elle porte en allemand le nom de Zeitungswesen.[4] On pourra risquer en français le terme d’Hémérologie, coordonné avec ceux d’Hemerothèque, de Bibliologie et de Périodicologie. Que les matériaux de cette science sont abondants et que de nombreux exposée, complets ou partiels en aient été présentés déjà, en témoignent les 7,000 titres de l’« Internationale Bibliographie des Zeitungswesens » du Dr. Karl Bömer (Leipzig O. Harrassowitz).

2. Cycle des opérations.

a) Communication. — Les nouvelles reçues et transmises (voire fabriquées) par les agences de presse constituent

  1. Ce qui fut distribué à la Presse en France à l’occasion de l’affaire du Panama, Paul de Cassagnac a reproduit la fameuse liste Flory dans L’Autorité du 30 mars 1893. Reproduit dans Didier : Le Journal et la Revue. Conférence à la Maison du Livre, Bruxelles 1910.
  2. L’Internationale sanglante des Armements, par Otto Lehmann-Russbüldt. Bruxelles-Églantine.
  3. Rouge et Noir : 1932.08.03, p. 5.
  4. Brunhuber Robert. — Das moderne Zeitungswesen (system der Zeitungslehre). Leipzig. G. J. Göschen 1907. 109 S. Geb. 0.80 M. Sammlung Göschen 320.