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124.3
BIBLIOLOGIE

saturation, en fonction des connaissances ou des impressions antérieures acquises ou éprouvées et qui, pour un lecteur déterminé, diminue l’appétit et profit de la lecture.

b) Le problème général de « bibliosociométrie » consiste à déterminer les lieux et les temps et, eu égard aux lecteurs, la chance qui existe pour les ouvrages d’être lus, partant d’exercer leur action sur la société. Qu’il soit possible de poser théoriquement un tel problème, alors même que sa solution serait retardée ou empêchée par manque de données concrètes, c’est déjà une étape vers la solution, la seule mise en relation des termes indique déjà avec précision comment se présente la question et problème bien posé est à moitié résolu. D’autre part, une comparaison est à faire ici avec la nourriture. Quand il s’agit de nourriture capable d’alimenter les forces corporelles, on se préoccupe aussi d’établir l’unité générale de mesure alimentaire. Les livres à leur manière et pour l’esprit, sont une nourriture dont on doit pouvoir mesurer les « calories » intellectuelles. Les calories ce sont les idées susceptibles d’être transmises et comprises[1]. Si nous supposons que dans les écrits l’unité correspondante à l’idée susceptible d’être comprise, soit non pas le mot, qui n’implique aucun jugement, ni la phase qui est trop peu explicite à elle seule, mais bien l’alinéa (verset ou articulet) qui exprime une idée complète, en conséquence, on pourrait poser les définitions conventionnelles des termes suivants avec les unités de base qui en résulteraient :

Idée : la plus petite partie d’un exposé présentant en soi un tout complet.

Idéogramme : la partie d’un document qui contient l’idée ainsi définie et qui par convention est l’alinéa.

Idéogrammite : l’unité d’idée (énergie intellectuelle) incorporée dans l’idéogramme et assimilable au moyen de la lecture. L’idéogrammite est ainsi, à la calorie, ce qu’est la réception d’une idée par le livre à l’alimentation par la nourriture.

Lecture : le fait de lire.

Lecturité : le rapport entre les livres existants et les occasions fournies d’être lus (de lecturus, gérondif de legere, lectus).[2]

Légibilité : Possibilité physique de lecture, quant aux livres.

Lecturabilité : Possibilités psychiques de lecture, quant aux lecteurs.

c) Si donc l’on généralise le cas du Traité de physique, pris antérieurement comme exemple, et qu’on en exprime les rapports en terme de formule, on a

Lecturité = (Livres différents × Exemplaires × Idéogrammites × Lecturabilités) : Légitibilité

ou en abrégé :

d) Pour toute communauté désireuse d’assurer par la lecture la culture de ses habitants et d’accroître l’usage social du livre, on doit conclure à la nécessité de pourvoir ses habitants d’un certain nombre de livres placés dans de bonnes conditions de lecture.

124.3 La statistique.

1. La statistique du livre se confond avec la Bibliométrie, bien que jusqu’ici elle se soit appliquée principalement à dénombrer la quantité produite des livres (éditions). Mais la statistique commence à s’étendre maintenant aux tirages, à la circulation du livre, aux Bibliothèques, à la Librairie, aux prix, etc… Déjà des travaux considérables ont été entrepris sur la statistique du livre. Ils ont porté sur les chiffres absolus et aussi sur les coefficients. Sans doute, il ne faut pas exagérer la valeur de ces chiffres car les dénombrements sont loin encore d’être complets, exacts, comparables. D’autre part, les coefficients que nous pouvons obtenir ne sont que des moyennes, qui comportent toutes sortes de variations, en fonction d’innombrables variables. Mais en tenant les nombres que déjà nous possédons comme provisoires, ils doivent être pour nous un acheminement vers des nombres plus exacts et plus complets.[3]

2. Statistiques. — Voici quelques données chiffrées à titre d’évaluation avant que des études systématiques poursuivies aient permis de dégager des coefficients.

Nombre des œuvres. — Il nous reste plus de 1,600 ouvrages de l’antiquité grecque ou latine.

La production actuelle. — Elle varie de pays à pays, de branche à branche, d’année à année. La production

  1. Le mot « Éducation ». qui est très récent, a remplacé le mot « nourriture » dont usaient les grands écrivains du XVIIe siècle et du XVIIIe siècle. L’éducation nourriture physique et intellectuelle dans le cadre naturel est l’idée maîtresse de la philosophie de J.-J. Rousseau. L’Antiquité disait « Nutrimentum Spiritus — Educit nutrix ».
  2. La théorie de la lecturité est mise en lumière par des analogies avec deux théories d’ordre économique qui toutes deux ont été traitées par les méthodes mathématiques (calcul différentiel)

    1o La loi du débit donnant lieu à la théorie des maxima et des minima traitée par Cournot. La quantité de marchandise débitée annuellement dans l’étendue du pays ou du marché considéré en fonction des prix (Aug. Cournot, Recherches, pp. 55-56) ;

    2o La propriété de l’ophélimité, étudiée par Pareto et qui se définit : « L’ophélimité pour un individu, d’une certaine quantité d’une chose, ajoutée à une autre quantité déterminée (qui peut être égale à zéro) de cette chose déjà possédée par lui, est le plaisir que lui procure cette chose ». (Vilefredo Pareto. Manuel d’Économie Politique, Traduction Bonnet. Paris, 1909, pp. 158-159).

    Voir aussi le résumé et le commentaire des deux théories dans L. Leseine et L. Suret, Introduction mathématique à L’Économie Politique, pp. 75 et 122.

  3. Voir par analogie Alfredo Niceforo : La misura della Vita. Extrait de La Rivista d’Anthropologia, Roma, 1912.