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LE LIVRE ET LE DOCUMENT

tionnel pour tous ceux qui étudient l’antiquité ; elle a provoqué un enthousiasme qui a permis de parler d’une renaissance du XIXe siècle. En 1918, d’après W. Schubart (Einführung in die Papyruskunde) la publication des papyrus avait porté déjà sur plus de 1300 textes littéraires ou fragments.

On a découvert des huttes entières de papyrus, sorte de débarras de documents administratifs de l’époque empilés.

La « Papyrologie » est la science qui a pour objet de déchiffrer les manuscrits sur papyrus.

Cette branche de la paléographie a pris une importance considérable au cours de ces dernières années ; en très peu de temps, les documents qu’elle nous a révélés ont permis d’élucider une foule de points obscurs ou mal connus dans l’histoire politique et littéraire de la Grèce. C’est presque exclusivement aux découvertes faites en Égypte que nous sommes redevables de ces résultats, non seulement parce qu’après la décadence de la Grèce propre le royaume des Ptolémées devint le foyer de la vie et de la pensée helléniques, mais parce que l’usage du papyrus y était plus courant que dans les autres pays, et aussi en raison des conditions climatériques et des coutumes funéraires qui favorisaient la conservation des objets les plus délicats.

La tâche est délicate : le déchiffrement et la reconstitution de ces manuscrits. Ces documents nous sont parvenus en effet, le plus souvent en fort mauvais état ; trouvés les uns au milieu des ruines — quelquefois dans des jarres où on avait l’habitude de les serrer, mais trop fréquemment dans les décombres ou les anciens tas d’ordures, les autres dans les sarcophages, où ils avaient servi au cartonnage des momies, ils sont parfois brisés, souvent à moitié effacés par l’humidité, presque toujours déchirés. Pour arriver à dérouler et à étaler sans les émietter ces feuilles séculaires, le papyrologue doit être doublé d’un chimiste et d’un manipulateur adroit, qui sache procéder à ce travail minutieux avec autant de dextérité que de patience ; il faut savoir aussi assouplir le manuscrit sans en altérer les caractères, ranger dans l’ordre voulu les divers feuillets d’un même rouleau ou les fragments d’un même feuillet, etc. Puis vient la lecture proprement dite, qui n’est généralement pas des plus aisées : certains papyrus, surtout les « papiers d’affaires », sont tracés d’une écriture courante, dont les caractères ne se distinguent pas sans peine, où les mots ne sont pas séparés, où manquent un grand nombre de signes d’orthographe et de ponctuation, où abondent les corrections confuses et les abréviations conventionnelles ; pour s’y reconnaître, il faut à la fois un coup d’œil perspicace et des connaissances très spéciales. Ces difficultés sont plus sensibles pour les papyrologues que pour les autres paléographes ; car la plupart des papyrus contiennent, soit des actes rédigés d’ordinaire sans grand soin matériel, soit des copies hâtives d’œuvres classiques, sortes d’« édition à bon marché », où les inadvertances sont fréquentes, et qui ne sont pas non plus calligraphiés comme les parchemins du moyen âge, œuvre de patience et d’art, auxquelles les moines consacraient les nombreux loisirs de leur existence oisive.

En présence de ces documents détériorés, confus, incomplets, la critique des textes s’est imposée comme première tâche aux paléographes et aux philologues qui avaient entrepris de les éditer ou de les commenter. Si en France, en Allemagne, en Italie, ailleurs, ont été faites de nombreuses publications, c’est surtout à l’école anglaise que l’on est redevable, semble-t-il, des plus importants travaux, dans cet ordre d’idées.

Les documents d’origine papyrographique se répartissent en deux groupes distincts : les papyrus littéraires et les papyrus non littéraires. Les premiers sont de beaucoup les moins nombreux : dans le lot le plus important, celui d’Oxyrhynchos, ils forment tout au plus un sixième du total. Ils consistent, avons-nous dit, en copies généralement assez médiocres des ouvrages en prose ou en vers de l’âge classique ; malgré leurs défauts, l’intérêt en est considérable. D’abord ces papyrus, dont la majeure partie date des trois derniers siècles avant notre ère, sont de beaucoup antérieurs aux plus anciens manuscrits que nous possédions déjà ; ils dénoncent ainsi bien des altérations qui se sont produites dans les textes sous la main des scribes du moyen âge. Puis, ils nous font connaître des parties nouvelles de certaines œuvres qui nous étaient parvenues très mutilées ; des morceaux plus ou moins étendus de poésie épique, lyrique ou dramatique, des passages parfois assez longs d’historiens, d’orateurs, de philosophes, de théologiens sont venus s’ajouter de cette façon, aux fragments que l’antiquité nous avait transmis.

Enfin et surtout, plusieurs ouvrages entièrement perdus, et dont nous ne savions guère que le nom, nous ont été restitués par quelque « coup de pioche heureux » ou par une trouvaille… chez un brocanteur indigène.

Les papyrus non littéraires, dont on connaît déjà plusieurs milliers, comprennent des actes privés ou publics des genres les plus divers : baux, procès-verbaux, ventes, prêts, devis, mémoires, reçus, pétitions ou requêtes, lettres d’affaires, dépositions de plaignants et de témoins, rapports de police, résultats d’enquêtes judiciaires, etc. Ces documents, dont les plus importants et les plus nombreux datent de l’époque romaine, sont d’un intérêt capital pour l’étude des institutions publiques et des relations privées sous la domination impériale ; comme le gouvernement central laissait aux provinces une certaine autonomie dans l’administration des affaires purement locales, c’est encore d’une civilisation hellénique que ces écrits sont les produits et les témoignages concrets. Les renseignements que ces papyrus nous fournissent sont assez précis pour avoir permis à plusieurs historiens de trancher des questions jusqu’alors très confuses et de