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DOCUMENTS GRAPHIQUES

La musique touche à la documentation de plusieurs manières : 1o Elle a des rapports avec la parole, qui en a avec l’écriture. La musique est la langue des sons harmonieux, comme la langue est le mode d’expression des idées. 2o Elle donne lieu à des documents destinés à la fixer et à la conserver : partitions musicales. 3o Elle a réalisé une notation fort intéressante, dont l’étude comparée montre bien que la notation du langage par l’alphabet n’est qu’un cas particulier de la notation en général. 4o Elle fait entrer l’esprit dans un domaine nouveau de relations. 5o La musique n’est pas indépendante des autres matières : elle déborde sur la littérature et la philosophie, l’ethnologie, les amusements, et par toutes ces ramifications, elle est rattachée à la documentation générale.

b) La musique est en soi tout un monde. Les sons qu’elle met en œuvre se succèdent dans le temps, exprimant soit des sensations agréables pour l’ouïe, soit des sentiments de nature diverse. La musique des maîtres peut agir sur le tréfonds de l’âme et transformer même la personnalité. Avec la musique, nous sortons du domaine des idées rationnelles, liées entr’elles par des liens logiques et exprimées en mots. Nous sortons aussi du domaine des formes et des couleurs susceptibles de représenter des réalités existantes ou imaginées. Nous entrons dans une sphère différente où des relations de types nouveaux sont établies entre sons.

Beethoven dit : « La musique est une révélation plus haute que la science et la philosophie. » La musique est un langage non-articulé. L’homme a créé d’une pièce le monde des êtres musicaux que sont les airs de musique et leur architecture de plus en plus complexe en symphonie et poème lyrique. C’est de l’artificialité toute pure. Demain, qui sait, l’humanité créera quelque art nouveau basé sur un autre sens.

La musique est la forme d’art la plus universelle et la plus immédiate qui serve à l’expression de l’âme humaine ; elle est aussi la plus apte à résoudre l’exclusivité artificielle des peuples et à faire parler directement l’homme lui-même des secrets les plus cachés et des passions les plus sincères de son être. (J. Kodolanyi.)

c) Les uns veulent voir dans la musique une idée. Mahler, disciple de Liszt, disait : « Quand je conçois une grande peinture musicale, il vient toujours un moment où le mot (das Wort) s’impose à moi comme support de mon idée musicale. »[1] Tout art doit comporter un sens intelligible et un enseignement. Les autres disent : Non, la musique est l’art d’émouvoir par la combinaison de sons. Plus un être donné jouira de sons pour et en eux-mêmes, plus il sera musicien, il le sera autant moins qu’il jouira des sentiments, puis des images, puis des symboles ou des idées que les sons suscitent en lui, en dehors de la sphère audito-émotive propre.[2] Il existe une sorte d’incompatibilité créatrice foncière entre le genre musical et le genre littéraire. « La musique me parle une langue enchantée que j’écoute avec ferveur en fermant les yeux sans chercher à la comprendre avec mon esprit. Je la trouve belle et je l’aime chaque fois qu’elle m’inspire une émotion indéfinissable que j’appelle la musique. »

d) Les éléments constitutifs de l’idée musicale sont l’intonation, la durée, l’intensité, le timbre, la valeur harmonique, les groupes rythmiques, etc.

La théorie générale de la musique comporte l’étude des éléments mêmes de l’art : le son et ses facteurs, les différents modes de production et de groupement (mesure, rythme, mélodie, harmonie des sons, les procédés de notation, d’expression, de perception de l’œuvre musicale, etc.). Elle est à la base de toute vraie connaissance de l’art des sons.

e) Les éléments du langage musical sont profondément liés à la vie organique et émotive de l’être humain. Ils ont une signification générale immédiatement perceptible par tous les peuples, malgré la différence des races ou des idiomes parlés. Mais d’autre part, les sentiments ou les idées que traduit ce langage reflètent souvent ce qu’il y a de plus personnel dans l’âme de l’artiste et ils se rattachent de toute façon à un mouvement particulier d’une utilisation locale ou nationale.

La musique est donc internationale par son mode d’expression et la puissance de rayonnement qui en résulte, nationale par son mode de production, par le foyer d’où elle émane. (P. M. Masson.)

La musique est une discipline de psycho-réflexes et cela non seulement pour les individus, mais pour les collectivités. L’action s’exerce par la cinétique et la statique ou changement du rythme, par l’intensité du mouvement. Elle joue un rôle de magie dans les épisodes ethniques de vie sociale des peuples en Asie.[3]

Dans les conditions habituelles de composition, l’idée, ou si l’on veut le thème, la mélodie, formés dans le subconscient, s’accompagne, il est vrai jusqu’à un certain point de leur harmonisation, de leur timbre, de leurs transformations futures, de développements dont ils sont susceptibles ; tout cela est contenu dans l’idée comme la graine contient la plante, la fleur, le fruit. Mais tout cela doit prendre corps, être « rédigé » dans le traitement harmonique ou polytonique, la disposition des accords, l’orchestration, etc. Ces opérations délicates et compli-

  1. Romain Rolland. — Musiciens aujourd’hui.
  2. Dr Ch. Odier. — Comment faut-il écouter la musique ? — Semaine Littéraire, 28 février 1919.
  3. E. Rosenstein. — Géographie musicale, folklore persan. — Annales de l’Academia Asiatic (Teheran) 1931, vol. 2, p. 20.