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DOCUMENTS GRAPHIQUES

4° La polyphonie. — La musique ne peut ne développer que dans le temps ; mais par l’harmonie et la polyphonie, elle a réalisé une simultanéité de succession qui lui donne un plus large champ, et qui est comme un succédané de l’espace. Or, on sait que cette construction à base scientifique commencée au moyen âge, a demandé des siècles d’élaboration et dure encore. (Ribot.) La musique a une architecture sonore s’exprimant dans le temps, comme l’architecture visuelle s’exprime dans l’espace. L’idée de faire entendre simultanément plusieurs notes ou plusieurs mélodies (polyphonie, harmonie) paraît de prime abord assez singulière. Elle est entièrement étrangère à certaines races en possession de systèmes musicaux raffinés. L’origine paraît purement harmonique. On serait parti de l’unisson, diversifié peu à peu à cause des particularités techniques des divers instruments, de la fantaisie individuelle, etc. On aurait pris goût à ces variantes qui intentionnément pratiquées auraient abouti à des écarts. (E. Cloison, Esthétique musicale.) Analogiquement, on peut se demander si l’on ne pourrait écrire simultanément plusieurs textes comme déjà on conjugue texte et illustration. La notation d’un brouhaha de conversations serait une écriture simultanée.

5° L’interprétation. — Tandis que les monuments de l’art plastique, par leur fixité, nous ramènent de force à l’époque de leur création, les œuvres musicales du passé, recréées par l’interprète moderne dans un esprit nouveau, se confondent par lui avec les œuvres contemporaines. On peut observer que cette « re-création » s’opère aussi dans le livre à raison de la part qu’y apporte le lecteur (psychologie bibliologique).

6° L’oreille et l’œil — La musique partage avec le livre l’intérêt des hommes. L’organe de la musique est l’oreille tandis que l’organe du livre est l’œil. Le livre présente des idées, la musique se borne à présenter des sensations. L’influx nerveux, manifestation de la sensibilité de l’homme et de sa pensée est animé d’un mouvement. Lorsque le mouvement s’accélère, le sentiment est vif ou gai. Dans le cas contraire, il est lent ou triste. C’est de cette manière et non d’une autre qu’on peut rendre les sentiments par la musique. Tel sentiment ne répond nullement à tel son ; et même la musique est impuissante à rendre l’ensemble des sentiments par un moyen direct, mais sentiment et musique seront en rapport par un substratum qui leur est commun : le mouvement ; ils deviendront synchroniques si le sentiment devient vif, la musique sera plus rapide ; s’il est désordonné, la musique rompt sa mesure ; s’il est triste, les notes seront plus lentes ; elles seront aussi plus graves, car la gravité d’une note est sa lenteur intérieure, (de la Grasserie.)

7° Entre la musique et la littérature. — Les rapports deviennent à la fois plus rapprochés et plus éloignés. La musique se constitue en autonomie distincte de la pensée logique. D’autre part, c’est à notre époque seulement qu’on en est venu à introduire dans la musique des imitations (musique descriptive) et des pensées (musique intellectuelle). (Herwarth Walden.)

b) Esthétique musicale.

On s’avance toujours plus loin dans l’examen de l’esthétique musicale. Un ouvrage comme celui d’E. Hoffman (Das Wesen der Melodie) s’efforce d’analyser l’essence de la mélodie. Toute mélodie décrivant une courbe quelconque, impression sentimentale, se transforme en impression intellectuelle en une ligne spatiale, du temps elle passe dans l’espace et devient pour ainsi dire visuelle. M. Hoffman expose à l’aide de diagrammes, de chiffres, d’équations, de logarithmes. Il fait un rapprochement entre la conception auditrice de l’aveugle et la conception visuelle du sourd.

c) La musique, la mathématique et la réalité.

La musique et la mathématique ont certaines affinités. L’une et l’autre au regard du langage ont conduit l’homme à des résultats étonnants. La mathématique dans ses applications à la physique et à l’astronomie a abouti à traiter des réalités « micro-physiques et macro-physiques » déroutantes pour la logique ordinaire.[1] D’autre part, la musique a créé un royaume de réalités sonores qui dépasse immensément les bruits naturels. Elle s’est élevée pour certains à une véritable religion. « La musique, dit Camille Mauclair, n’est autre chose que la dernière forme de la métaphysique qui ne veut pas mourir dans le monde et qui n’étant plus crue sur parole, s’est fait sonorité pour recommencer la conquête des âmes. »[2]

242.54 Instruments de musique.

a) L’instrument de musique est à la pensée musicale ce que le livre est à la pensée logique. Il sert à reproduire cette pennée avec ou sans l’intermédiaire de l’homme et de la partition musicale.

b) L’étude des instruments de musique nous montre les efforts faits pour rendre toutes les notes, tous les sons, tous les timbres, une reproduction qui est une création de sons.

La plupart des peuples ont leur instrument de musique national : guzla, cithare, tambourin, guitare, balalaïka.

c) La musique mécanique s’aide de plaques, cylindres, bandes et rouleaux faits de toute matière : métal, papier, carton, etc. « On a appelé la musique mécanique de la musique en conserve, » À cette musique se rattachent les papiers perforés, en rouleaux pour pianos mécani-

  1. Yoland Mayor. — Les constituants ultimes de la matière et de l’énergie. — Revue Scientifique, 10-6-1933.

    Laker, K. — Das Musikalische Schen Graz. 1913

    Hovker, R. Die Graphische Darstellunn als Mittel zum Musikalischen Hören, 1899.

  2. Mauclair, Camille. — La religion de la musique, 3e édition. Paris 1921.