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LE LIVRE ET LE DOCUMENT

La méthode d’enseignement par l’aspect, c’est-à-dire intuitive, n’a-t-elle pas toujours été la plus démonstrative ? Le cinéma vous transporte partout, même dans les endroits les plus inaccessibles. Le cinéma pénètre partout. Il initie aux secrets de toutes les fabrications, il vous fait assister à toutes les démonstrations, il consigne tous les faits. Un livre, un récit intéressant, un événement se produit dans le monde et le lendemain le cinéma le montre à tous, comme si l’on avait assisté à la lecture ou si l’on avait été spectateur oculaire de l’événement.

Les pièces de théâtre, les féeries les plus compliquées, les drames les plus émouvants sont représentés par le cinéma dans les sites et les cadres les plus appropriés. Aucune représentation théâtrale ne peut égaler la scène cinématographique. Quant aux scènes à transformation, il y en a de réellement déconcertantes. Elles renversent toutes les conceptions, elles confinent à la magie. Puis les scènes de genre, les scènes amusantes.

En résumé, le spectateur assis commodément dans le fauteuil des théâtres cinéma assiste à tous les événements intéressants se passant dans le monde entier. Les opérateurs sont présents partout, n’importe à quels sacrifices d’argent.

(Prospectus du Cinéma Pathé, 1909.03.04).
243.332 CARACTÉRISTIQUES PARTICULIÈRES.

a) Avec le cinéma, peut-on dire, il n’y a plus de passé ; la réalité passagère subsiste éternellement vivante et ce n’est pas un des moindres prodiges du cinématographe que d’avoir définitivement vaincu, semble-t-il, la puissance destructive du temps. (Darguin et Auvernier.)

b) Le cinéma s’adresse au cerveau par le sens le plus avide d’expression, la vue, dont le champ d’exploration est plus vaste que celui des autres sens. Le ciné agit sur le cerveau plus directement que le cours et même que le théâtre, parce qu’il supprime l’effort d’interprétation de la langue écrite et parlée et qu’il condense l’émotion, par la vue immédiate des choses. Il économise le travail mental.

c) Le cinéma est devenu de pratique courante. Il joue un grand rôle dans les campagnes de propagande. Il présente l’image vivante, palpitante, frémissante ; il la pénètre en une suite harmonieuse ; il ne fait pas seulement œuvre de démonstration, il est au premier chef un instrument d’attraction. L’image animée n’aide pas seulement à penser, elle grave profondément la notion que l’on veut enseigner. Elle réussit à faire pénétrer certaines notions parmi les personnes simples et non habituées au travail mental.

d) Le peuple est passé directement de la lecture, de l’analphabétisme, au cinéma. Il est plus facile de voir que d’entendre, de percevoir toutes formées les images que de transformer soi-même en images intéressantes les sons perçus de la langue.

Avec la parole (au théâtre) nous ne pouvons être émus que par l’intermédiaire des mots, c’est-à-dire en réalité des idées ; nous ne pouvons être touchés que de ce que nous comprenons. Le cinéma, au contraire, ne vise jamais à faire comprendre, mais uniquement à faire sentir et à suggérer. Il ne s’adresse comme la musique et les arts plastiques qu’aux sens et à l’imagination. Bien loin de lui servir, la parole lui nuit le plus souvent parce qu’elle le circonscrit et le lance dans la voie de l’analyse, alors qu’il est essentiellement synthèse. (Gaston Rageot.)

Le cinéma, c’est plus qu’un art, plus qu’une science ; C’est la plus forte puissance existante. (L. Aubert.)

Le cinéma sonore a complété l’illusion.

Le cinéma aide à se représenter les milieux et les faits, celui qui est sous sa tente au cœur du Sahara reçoit les mille jeux d’instruments d’un concert donné à Varsovie ; celui qui est assis dans un fauteuil d’une salle des Champs Élysées assiste au combat d’un tigre et d’un python dans la jungle de Java, entend les rugissements du fauve et le souffle du reptile.

e) En 1914, le cinéma était seulement une agréable distraction, un spectacle commode ayant ses admirateurs fervents. On ne l’employait guère pour la propagande. En 1933, le cinéma est une puissance ; sa clientèle est immense et façonnée par la publicité. Ce qu’il montre aux foules porte davantage que ce que l’orateur le plus habile peut laisser tomber du haut d’une tribune sur l’auditoire le plus attentif. Une idée exprimée par le truchement du film trouve plus de réceptivité qu’une idée diffusée par le moyen pourtant formidable de la T. S. F (Marcel Lapierre.)

f) Les dessins animés nous mènent dans un monde ignorant des lois qui régissent le nôtre, dans un monde où la fantaisie grotesque ou plaisante ou parfois dramatique règne en maîtresse. Le son synthétique nous révèle des sons inconnus, des voix, des tonalités de sons nés du néant.

g) Le commerce en général vend des réalités substantielles. Le cinéma, au contraire, vend des visions comme le théâtre vend des auditions. Passé le film, joué la pièce, tout s’est transformé en un échange de monnaie substantielle contre des images « phénoménales ». Le rien ou presque rien qui se mue en valeur a provoqué et entretenu un état foncier de spéculation dans le monde du cinéma.

h) Le cinéma tient de l’affiche et de l’annonce. Il est suggestif, permanent, attrayant, plein d’argumentations convaincantes. On crée une attraction dans une vitrine, un stand, un magasin, en installant un appareil de projections à mouvement continu, ne demandant aucune surveillance, appareils sans fin, dont le film se déroule en cycle sans cesse recommençant, avec écran visible aux lumières. Le voyageur de commerce moderne attend le client possible en son domicile projette un film documentaire en le commentant et montre ainsi la fabrication.